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Guy Laflèche, Université de
Montréal
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TGdM
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La bibliothèque électronique de Google (4)
New York, Paris, Montréal
Robert Darnton, Christian Rioux, Guylaine Beaudry
- Le projet d'entente de Google
— Aléas de l'automne 2009
- Les jérémiades
new-yorkaises
— En reprise à
Montréal au
printemps 2010
- New York - Montréal : la
complainte
fellatrice
parisienne
- Le chant de la fourmi (lamentations
montréalaises)
Avec dix millions de livres en banque,
on ne peut plus comparer Google au défunt projet Europeana
(mort de sa belle mort en 2008 et dont le nom est passé en
douce à l'European Library, portail qui était sur la
toile depuis le 17 mars 2005) et encore moins aux
« utopies » qu'on agitait naguère et
qu'on peut représenter aujourd'hui (parmi plusieurs
centaines) par la modeste et symbolique Bibliothèque
virtuelle mondiale de l'Unesco (lancée le 21 avril 2009,
avec 1300 oeuvres assez bizarrement choisies). Il faut bien avoir
le sens des proportions.
1. Le projet d'entente de
Google
Malheureusement, l'entreprise de Google et de
ses bibliothèques fondatrices (celles des universités
de Stanford, de Californie et du Michigan — moins celle
d'Harvard qui a déclaré forfait à cause des
convictions « françaises » de Robert
Darnton) auront dû s'incliner devant les marchands du
soi-disant droit d'auteur. Il fallait bien. En fait, même
les bibliothèques universitaires n'avaient pas le droit de
gérer adéquatement, librement et dans
l'intérêt de leurs étudiants, chercheurs et
professeurs, le corpus de leurs propres livres scannés par
Google ! Nous en sommes toujours, bien entendu, à la
question des copyrights sur la toile. Il ne fait pas de doute que
la solution
de Google était juste et adéquate, même du
point de vue juridique, toujours tordu. Le programme Recherche de
livres propose trois possibilités en fonction du
« domaine public » : on peut consulter en
entier les ouvrages libres de droit et on ne peut rien consulter
des ouvrages vendus en librairies; pour les autres, les
« ouvrages sous droit » épuisés,
qui ne peuvent aujourd'hui être consultés qu'en
bibliothèque, on pouvait avoir accès à
quelques extraits d'environ trois lignes qu'il était
impossible de juxtaposer. Le bon sens le plus
élémentaire voit bien que cela correspond au droit de
citation — le « fair use » (opinions de
nombreux juristes comprises, dont le moins cinglant n'est pas James
Grimmelmann, qui devrait toutefois se mériter le prix de
l'humour noir : voyez ou écoutez son entrevue sur
FictionCircus.com). Cela dit, je crois (mais je n'ai pu encore le
faire confirmer) que les bibliothèques fondatrices —
et plus généralement les bibliothèques
participant à part entière au projet — avaient
droit de gérer à leur gré leurs copies
informatiques pour la recherche et l'enseignement. En tout cas,
l'accès public au programme Recherche de livres de Google a
complètement changé la recherche et l'enseignement
depuis quelques années.
Et il ne fait pas de doute que l'entreprise
est irréversible, même si elle devra changer de forme,
comme on le voit au projet de règlement entre Google et
l'Association of American Publishers (qui représente les
« éditeurs », dont cinq ont aussi
inscrit une action contre Google à la cour) et The Authors
Guild (qui représente les « auteurs »).
On trouve l'original de ce document à l'adresse qui suit,
ses appendices, ainsi qu'un abrégé et une
présentation sous la forme accessible des réponses
aux questions soulevées par l'entente.
googlebooksettlement.com/
Il s'agit, on le voit, de la cause Authors Guild, Association
of American Publishers et al. vs Google inscrite à l'United
States District Court southern District of New York. Sa
désignation en anglais est « Settlement
Agreement » et on dit en abrégé le projet
d'« accord de règlement de Google ».
Sans ses nombreux et importants appendices et
annexes, le texte du projet d'entente fait, on le voit, 135 pages.
Mais contrairement à ce que l'on colporte volontiers, ce
texte n'a rien de compliqué, sauf pour les juristes qui
l'ont conçu et ceux qui doivent et devront
l'interpréter. C'est une affaire judiciaire. Pour nous, la
question est fort simple : on doit s'accommoder du projet
d'accord, parce que nous avons besoin d'en avoir un (et dans des
délais raisonnables), si l'on ne veut pas que le programme
Recherche de livres ne soit bloqué pour de loufoques
questions juridiques. Je suis de ceux qui, depuis le début,
font confiance aux bibliothèques qui ont fondé le
projet de Google. Les nombreuses bibliothèques qui
participent aujourd'hui au projet sont en grande majorité
des bibliothèques universitaires et, comme universitaire, je
n'ai pas de raison de croire que le règlement et son
application ne seront pas en notre faveur.
On trouvera dans la presse et sur la toile des
centaines de présentations et de réactions à
ce projet d'entente depuis son dépôt à la cour
en octobre 2008, pour approbation. Timothy Vollmer dresse une
liste impressionnante des interventions accessibles sur la toile en
anglais dans son blogue, qui compte aujourd'hui (juillet 2010) plus
de deux cents références au « Google
Book Settlement », liste périodiquement mise
à jour depuis sa création le 25 novembre
2008:
PureInformation.org/
ou plus exactement à l'adresse suivante :
timothyvollmer.com/blog/2008/11/25/
google-book-settlement-link-dump-awesomeness.html
Si vous cherchez les sites en français avec votre
système préféré, d'abord vous trouverez
beaucoup moins d'interventions, mais vous aurez ensuite la surprise
de voir qu'en français les interventions sont à la
fois souvent mal informées et, probablement par
conséquent, largement défavorables. Il suffit de
dire que sur plusieurs centaines d'interventions
états-uniennes, c'est celle de Robert Darnton, très
exceptionnellement défavorable au projet, a eu l'honneur
d'une traduction française dans le Monde
diplomatique ! — On reviendra sur cette tartine.
Pour résumer le projet, il faut d'abord
poser son objectif essentiel, soit la gestion des livres sous
copyright. Il s'agit ici de ceux qui ont été
scannés par Google dans les fonds des bibliothèques
participantes au projet, « sans autorisation »,
alors qu'environ 70% d'entre eux n'appartiennent plus à
personne ! Bref, l'entente ne porte pas sur les ouvrages du
domaine public, ni non plus sur les livres que l'on trouve en
librairies, puisque Google a déjà mis en place son
programme de partenariat avec les éditeurs (qui sont environ
30.000 actuellement). L'entente ne concerne que les livres
épuisés qu'on ne trouve plus en librairie et qu'on ne
pouvait consulter qu'en bibliothèque, avant que Google ne se
mette en frais de les scanner pour les incorporer à sa base
de données Recherche de livres.
Le résultat se voit sur Recherche de
livres de Google : dans les meilleurs cas (car trop souvent
« aucun aperçu n'est
accessible ») on peut trouver quatre ou cinq brefs
extraits répondant à une recherche d'occurrences. Il
est important de répéter que tous ceux qui ont dit
que « Google avait criminellement scanné sans
permission des livres sous copyright » sont des
imbéciles. Sauf les juristes et marchands de copyrights,
comme c'est le cas de l'ANEL, l'Association nationale des
éditeurs de livres, qui recommande à ses membres de
se retirer du projet (il est plutôt rare qu'une Association
du Québec se prenne pour l'ASP ! alors même que
tous les livres des éditeurs occidentaux sont
protégés par le copyright aux États-Unis).
Voilà pour l'objet du règlement.
Voici maintenant un sommaire du projet d'entente. Il consiste
à proposer ces livres épuisés à la
consultation sur la toile, puis à la vente à
l'unité, avec l'accord des auteurs et des éditeurs.
Tous les ayants droit qui ne s'opposent pas au projet d'entente
inscriront leurs livres sur le Registre déjà en place
sur la toile); chaque livre donnera droit à un montant
forfaitaire (60 $) et le détenteur du copyright
décidera ensuite s'il accepte que l'ouvrage reste dans la
banque de données ou non; enfin, Google propose que les
ouvrages offerts par la banque puissent être consultés
sur la toile (comme dans n'importe quelle librairie),
jusqu'à un maximum de 20% des pages du livre, mais jamais
plus de cinq pages consécutives et jamais 5% des
dernières pages. Il s'agit là du maximum que Google
proposerait pour les livres sous copyright dans son programme
Recherche de livres, mais c'est le propriétaire du copyright
qui décidera des modalités de cette consultation,
pouvant la réduire ou l'interdire tout à fait;
même chose pour les aperçus, les entrefilets (trois au
maximum, ce qui est bien peu) et les pages bibliographiques, comme
la table des matières et les index.
Après le règlement (l'audience
du tribunal de New York est prévue le 27 octobre 2009), ceux
qui détiennent les copyrights et qui ne se seront pas
soustraits à l'entente (ils doivent le faire avant le 4
septembre) auront ensuite jusqu'au 5 janvier 2010 pour s'inscrire
au Registre des copyrights et décider des modalités
de leur participation (le Registre est décrit au
chapitre VI et la question importante des livres orphelins au
paragraphe 6.3.a, p. 66s.). Étant donné la
structure « démographique » de la
production des livres depuis le XVIe siècle, il est clair
qu'elle a toujours augmentée par progression
géométrique; il suit que les livres aujourd'hui sous
copyright sont plus nombreux que ceux du domaine public, d'autant
que la conservation des livres en bibliothèque obéit
à la même loi et la décuple. Google estimait
à 5 millions sur 7 (et il y en a maintenant 10
millions) le nombre de livres sous droit qui se trouveront dans sa
banque au moment du règlement. Il suit également,
étant donné la masse, qu'un grand nombre d'auteurs et
d'éditeurs n'auront pu être rejoints et ne se seront
pas inscrits au Registre; mais il suit surtout qu'un bien plus
grand nombre de livres, toujours sous copyright, n'ont plus ni
d'éditeurs, ni d'auteurs, ni même d'ayants droit
survivants (environ 70%, comme on l'a lu plus haut). Ce sont les
livres « orphelins » et le problème
juridique qui se pose à Google et aux bibliothèques
participantes est de les distinguer des livres de
« parents inconnus ». La solution
proposée par l'entente est de créer un fonds
où seront placés tous les revenus non
réclamés de ces livres sous copyright de sorte que
l'avoir sera gelé durant cinq ans, ce qui signifie qu'un
ayant droit qui se prévaudra dans l'avenir de l'entente ne
pourra réclamer les droits que des cinq années
précédentes. Après cinq ans, cet argent
servira d'abord à gérer le Registre et le reste sera
ensuite distribué à des sociétés
à buts non lucratifs pouvant profiter aux
« auteurs » et aux
« éditeurs », par exemple sous forme de
subventions d'aide pour des projets liés à la
création ou à l'édition. L'important est
d'une part que ce fonds n'appartiendra pas à Google, mais
aux participants du projet, et d'autre part qu'il permet au projet
de fonctionner.
C'est l'article le plus important du projet du
point de vue juridique et qui est déjà pris à
partie devant les tribunaux. Consumer Watchdog, Internet Archives
et Microsoft ont saisi le Département de la justice d'une
requête anti-trust contre cet aspect du projet. Il est assez
évident que Google, grâce à une entente
juridique où la compagnie renonce à établir
formellement son bon droit et où elle se met au contraire au
service de la poursuite (c'est l'objet d'un accord de
règlement !), il est clair donc, que la compagnie gagne
un droit que les lois du copyright ne permettent pas !,
décider des droits de tous ceux qui ne peuvent plus les
exercer (soit, 70% des livres sous droit, il faut le
répéter encore). Le pari de Google et des autres
membres du projet d'entente est simple : que le Gouvernement
soit forcé de jouer le jeu, soit pour permettre l'adoption
de l'entente, soit encore pour faire suite à son adoption,
de sorte que le Congrès avalise la proposition —
l'auteur d'un livre sous droit pourra exiger l'arrêt
d'utilisation de son oeuvre dès qu'il intervient et pourra
réclamer les profits qu'elle a générés
au cours des cinq dernières années (actuellement, aux
États-Unis, la peine maximale pour l'utilisation d'un livre
sous copyright est de 125.000 $, ce qui n'a pas de sens). Le
projet d'entente évoque explicitement la réforme du
Copyright sur ce point (7.2.b.iii.v, p. 76).
Le malheur, bien entendu, c'est que ces livres
sous droit sans ayants droit seront dorénavant vendus au
prix du Registre. Dans l'ensemble, les livres sous droit seront
vendus soit au prix fixé par le titulaire du copyright,
sinon au prix établi par le conseil d'administration du
Registre. Par ailleurs, les bibliothèques publiques auront
droit à un poste gratuit permettant de consulter les
diverses bases de données impliquant cet ensemble de livres
sous droit — ce qui est évidemment, malgré la
restriction (« un seul poste »), un important
avantage pour les bibliothèques publiques des
États-Unis, qu'on doit compter par dizaines de milliers.
Les postes supplémentaires de consultation des
bibliothèques publiques (et il est assez évident que
ce sera le cas des grandes bibliothèques municipales ou des
divers États), comme tous les postes des autres
bibliothèques et des institutions seront vendus par
abonnements. Ces revenus de la vente de livres en direct sur la
toile et des ventes d'abonnements aux bibliothèques et aux
institutions, comme aussi les revenus publicitaires, seront
partagés entre Google (37%) et les détenteurs des
copyrights (63%).
Reste toutefois l'essentiel du point de vue de
la recherche ou du moins une part très importante de
l'entente qui concerne les droits et privilèges des
bibliothèques d'où proviennent les exemplaires de ces
ouvrages, comme aussi les livres du domaine public, soit parce
qu'il sont aujourd'hui libres de tout copyright, soit parce qu'il
s'agit d'ouvrages d'organismes publics qui n'ont jamais
été sous copyright, comme c'est le cas des
publications gouvernementales. Les bibliothèques
liées à Google sont réparties en plusieurs
catégories, en fonction de leur implication dans le projet,
selon qu'il s'agit de bibliothèques participantes à
part entière ou simplement coopérantes, soit celles
qui limitent leur participation aux seuls volumes qui sont du
domaine public, soit même à quelque corpus
spécifiques (c'est ce que décrit le chapitre VII du
projet). Toutes devront payer dorénavant un abonnement pour
avoir accès aux bibliothèques électroniques.
Cela dit, pour les fins de la recherche, les bibliothèques
participantes à part entière, conformément aux
contrats passés avec Google, resteront largement libres en
ce qui concerne la gestion de la copie électronique des
livres scannés dans leur bibliothèque (c'est la copie
électronique de la bibliothèque), avec les
restrictions d'usage, bien sûr, en ce qui concerne la
sécurité et les droits de propriété.
On peut supposer que les professeurs, les chercheurs et les
étudiants de ces bibliothèques continueront d'avoir
un large droit sur la copie électronique de leurs livres
puisque le projet de Google n'existerait pas sans elles. Et c'est
bien ce qui est prévu dans le projet de règlement,
à la toute fin du chapitre sur le « Corpus de
recherche » (chap. 7.2.d, p. 79).
Chaque bibliothèque participante
à part entière au projet de Google devrait pouvoir
utiliser la copie conforme de ses livres au sens du
« Corpus de recherche » du projet. Ce corpus
aura au moins deux lieux physiques, c'est-à-dire deux
centres de recherche (et peut-être trois si la cour et les
administrateurs du Registre permettent à Google d'en
gérer un), qui rassembleront tous les livres sous droit qui
n'auront pas été exclus par leur propriétaire.
On comprend que ce corpus regroupera les dix millions de livres de
la banque de Google, comprenant ceux qui sont du domaine public,
ceux qui sont versés à la banque par leurs
éditeurs alors qu'ils sont toujours accessibles dans le
commerce et les livres épuisés toujours sous
copyright qui n'auront pas été soustraits au Corpus.
Ce Corpus de recherche sera accessible aux utilisateurs
qualifiés pour des recherches scientifiques portant sur
le traitement de l'information des images et des textes, les
analyses linguistiques, la traduction automatique et les diverses
procédures d'indexation. Ces cinq domaines sont
déjà définis par le projet, mais on peut
espérer d'abord que la définition du
« chercheur qualifié » ne soit pas
restrictive et, ensuite, que ces domaines de recherche ne soient
que des exemples pour le conseil d'administration du Registre sur
les projets admissibles impliquant le Corpus de recherche. Il ne
fait pas de doute que ce sont les bibliothèques
universitaires participantes qui ont obtenu l'inscription de ce
chapitre (7.2.d) au projet d'entente et que l'objectif est ici de
favoriser et de protéger la recherche scientifique dans une
entente sur une bibliothèque électronique regroupant
tous leurs livres.
Finances, bibliothéconomie et
sociologie. Google inc. investit 125 millions de dollars avec ce
projet d'entente. Il donnera 34 millions et demi pour mettre en
place le Registre (et beaucoup plus si le Registre ne
réussit pas à se financer après dix ans avec
la vente des abonnements et d'une partie des livres); il versera
45 millions à tous les propriétaires de livres sous
droit qui ont été scannés, c'est-à-dire
aux auteurs et aux éditeurs qui s'inscriront au Registre des
ayants droit, soit 60 $ par livre et 15 $ pour chaque
participation à un livre (préface, chapitre, etc.);
le reste des 125 millions servira à payer les avocats des
deux parties de la poursuite, de même que la publicité
de l'entente, évidente condition du règlement.
Toutes les bibliothèques participantes pourront utiliser
leur copie électronique pour reconstituer les ouvrages de
leur fonds détruits, perdus, volés ou victimes de
tout accident : il s'agit là d'une assurance gratuite
pour les universités, les municipalités et les
États participant au projet. Enfin, toutes les copies
électroniques pourront être utilisées sans
aucune restriction par toutes les bibliothèques pour venir
en aide aux handicapés qui ne peuvent avoir un accès
normal ou usuel aux imprimés. Cela concernera au premier
chef les aveugles qui utilisent les
« écrans » traduisant l'alphabet en
braille — sans compter l'inverse, la translation du texte
alphabétique en discours oral dans nos langues (l'inverse,
encore, étant aujourd'hui à la portée de tous
nos ordinateurs, puisqu'on peut dicter nos textes et messages).
J'espère que mon exposé est
non seulement complet, mais également objectif, puisqu'il
est factuel. On sait, et je le répète, que je fais
confiance à l'entreprise de Google pour son projet Recherche
de livres, parce qu'il implique de nombreuses bibliothèques
universitaires, dont les contrats on été rendus
publics. Or, trois de ces bibliothèques ont
participé à l'élaboration du projet d'entente,
les bibliothèques fondatrices de la Californie, du Michigan
et de Stanford. Il a fallu deux ans pour que l'entente soit mise
au point. L'accord de principe des trois bibliothèques
fondatrices a été rendu public le 28 octobre 2008 et,
le 20 mai 2009, l'Université du Michigan annonçait
qu'elle ratifiait le réaménagement de son contrat
avec Google dans le cadre du projet d'entente (on trouve ces
communiqués, dont toute la presse a fait écho, sur le
News Service de l'Université du Michigan; le projet
d'entente sur le site internet de la bibliothèque).
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Automne 2009
Les aléas juridiques
heureusement sans impact pour l'instant
sur le programme Recherche de livres
Les marchands de copyrights et leurs
bataillons de juristes auront-ils gain de cause contre la
technologie, le bon sens, l'art et la connaissance ? Contre
la recherche universitaire ?
Projet d'entente révisé
Le 13 novembre 2009, Google a dû
déposer à la cour de New York un projet d'entente
révisé avec les éditeurs et les auteurs de la
poursuite. La date de l'audience avait déjà
été reportée deux fois, à la demande
des participants à l'entente, pour faire face aux objections
de leurs opposants (compétiteurs, regroupements d'auteurs et
d'éditeurs, aux États-Unis et surtout à
l'étranger), comme aussi pour tenir compte des avis
juridiques du Département de la Justice. Il s'agit de
présenter un projet qui permette de conserver l'essentiel de
l'entente tout en tenant compte des objections et oppositions
présentées à la cour.
La première difficulté porte sur
les ententes nécessaires avec les auteurs et les
éditeurs en ce qui concerne les ouvrages... qui n'ont plus
d'ayants droit (ni auteur ni éditeur identifiables, les
livres orphelins). Car de nombreuses associations d'auteurs
et d'éditeurs rapaces sont là pour se battre en leur
nom pour en tirer le plus de profit possible. Les rapaces sont des
oiseaux qui passent et qui rapacent. Puisque les partenaires
à l'entente sont l'Association of American Publishers et The
Auteurs Guild, qui ont tout de même compris que leur propre
intérêt était de ne pas trop rapacer, alors la
solution, pour sauver l'accord, est d'en réduire la
portée aux États-Unis et aux pays de common law
(c'est le cas de le dire), c'est-à-dire au traité sur
les copyrights tel qu'il a été pratiqué dans
ce que fut l'Empire britannique et ses dominions.
Résultat : le projet d'accord ne concerne plus que les
ouvrages enregistrés sous un copyright des États-Unis
d'Amérique ou qui ont été publiés dans
un pays où le copyright est automatiquement couvert par
celui des États-Unis, soit l'Australie, le Canada et la
Grande-Bretagne. En effet, si l'accord est contesté
à l'extérieur des pays de tradition anglo-saxonne, et
particulièrement en France, il est inutile de tenter d'y
inclure les ouvrages protégés par leurs
législations, puisque ce serait leur donner le moyen de
l'invalider... aux États-Unis. Ce n'est qu'une fois
l'accord en place que Google proposera aux représentants des
auteurs et des éditeurs de ces autres pays de faire partie
du projet.
Si sa portée est réduite, la
nature du projet reste inchangée, de même que ses
objectifs. En effet, on peut croire que si l'accord était
adopté, l'avantage donné dans le programme Recherche
de livres aux ouvrages anglo-saxons serait tel que les auteurs, les
lecteurs et les chercheurs des autres langues et cultures
n'accepteraient pas longtemps qu'on les prive d'un tel instrument
pour les ouvrages dans leur langue.
Les principales clauses de l'accord restent en
place, sauf en ce qui concerne le fonds généré
par les ouvrages orphelins. D'abord, ces profits resteront
gelés non plus durant cinq ans, mais dix ans, de sorte que
les ayants droit qui s'ajouteront dans l'avenir pourront
réclamer les profits générés par leurs
oeuvres sur cette période, avant de décider de
retirer ou non leurs oeuvres du programme et, si oui, d'en
établir le coût et les modalités de
consultation; ensuite, après dix ans, ces profits ne seront
plus utilisés à gérer le Registre, mais
à retrouver les ayants droit de ceux de ces livres qui ne
sont pas orphelins; tandis que l'argent restant, qui sera
géré par un organisme gouvernemental, servira
à subventionner des projets à but non lucratif, en
faveur de la création et de l'édition. En outre, les
« orphelins » seront représentés
au Registre par un procurateur désigné par le
Gouvernement. — À remarquer que les trois pays qui se
joignent maintenant aux États-Unis seront également
représentés et comme auteur et comme éditeur
au Registre.
Par ailleurs, le programme sera ouvert aux
concurrents de Google (Amazon, Barnes & Noble, etc.) qui pourront
vendre les livres épuisés couverts par le Registre
pour un profit pouvant atteindre jusqu'à 37 %.
L'algorithme qui fixera les prix de ces
ouvrages sans ayants droit est maintenant public, fondé sur
les offres du marché, tandis que le Registre sera seul
à connaître les ententes particulières avec les
ayants droit participant aux programmes avec leurs livres
épuisés.
Enfin, du point de vue social, le projet ne
limite plus le nombre de terminaux des institutions publiques
à un seul, tandis que le Registre pourra accorder des
avantages à des pays ou à des groupes sans devoir
donner ces mêmes avantages à Google (c'est la
« non-discrimination clause »).
Maintenant que ce projet d'entente
révisé est déposé à la cour,
celle-ci attend à nouveau les interventions des
intéressés, avant de juger de sa recevabilité
dans les premiers mois de 2010.
—— Source : on trouve le Revised Google Books
Settlement Agreement sur le site de Google, mais j'ai
utilisé ici le sommaire du Google Public Policy Blog, 13
novembre 2009.
Google condamné par le Tribunal de grande instance de
Paris
Le 18 décembre 2009 le Tgi de Paris a
condamné Google à verser près d'un
demi-million de dollars (300 000 euros, environ
460 000 $ canadiens) au Groupe La Martinière
qui avait intenté en 2006 un procès pour
l'utilisation, à son avis, de quelque 4 à 6 000
de ses titres dans son programme Recherche de livres — Eden
(soit La Martinière, Gallimard et Flammarion) ont ensemble
un catalogue de 10 000 titres à mettre en commun; alors
comment La Martinière en aurait-il à lui seul plus de
la moitié... sur Recherche de livres ? — Bref,
Google est condamné pour contrefaçon (sic), d'abord
pour avoir scanné ces livres sans permission et ensuite
pour en avoir offert des extraits de trois lignes lors de
recherches
d'occurrences sur ceux de ces livres qui sont
épuisés. Google a tout de suite fait appel, mais le
jugement reste exécutoire : la compagnie a trente jours
pour soustraire les ouvrages du groupe de son programme et,
vraisemblablement, tous les livres français qui se trouvent
dans la même situation (c'est-à-dire qui ne sont pas
du domaine public ou qui ne sont pas dans le projet à la
demande d'un éditeur participant français) : en
effet, la Société des gens de lettres et le Syndicat
national des éditeurs s'étaient joints à la
poursuite et Google est condamné à leur verser un
euro symbolique.
C'est évidemment une bien triste
nouvelle pour les lecteurs, les professeurs, les étudiants
et les chercheurs qui depuis cinq ans avaient appris à ne
plus pouvoir se passer du programme Recherche de livres et que rien
ne saurait remplacer avant longtemps. S'il fallait que les
ouvrages épuisés français doivent être
retirés du programme, ce serait une catastrophe. Or, il
apparaît assez évident qu'il n'y aura pas d'accord
possible avec le SNE et la SGL, car à lire les entrevues
accordées à la suite du jugement, une chose est
claire : ces gens-là ignorent tout du programme de
Google. Il est proprement hallucinant d'entendre Hervé de
La Martinière inviter Google à la table des
négociations et proposer à la compagnie de s'associer
à son Eden pour en faire la promotion ! Eden est un
petit portail mis en place par le groupe La Martinière,
Gallimard et Flammarion qui offre actuellement un grand total de
mille livres
en vente sur l'internet... Monsieur de La Martinière sait
compter, cela ne fait pas de doute, lorsqu'il additionne des euros;
cela est moins sûr lorsqu'il compte des livres et les
intérêts de ses concitoyens, voire les nôtres
à tous. C'est un homme d'affaire. Et l'homme d'affaire n'a
vraiment pas le sens des proportions. Plus grave, il n'a aucune
idée concrète du programme Recherche de livres, il
n'en voit ni la nature, ni la portée. Qu'Eden offre sur la
toile un, cinq ou dix mille livres, cela n'a bien entendu
absolument aucun rapport avec une bibliothèque
électronique, une banque de dix millions de livres de
surcroît. Il faudrait être un parfait imbécile
pour ne pas voir la petite différence ! Il doit suivre
qu'Hervé de la Martinière, qui ne saurait être
tel, est un grand marchand de copyrights. Longue vie et belle
réputation au groupe La Martinière.
Certes, Hervé de La Martinière
n'est pas un chercheur, mais n'y aurait-il pas, en France, à
Paris, quelque universitaire capable d'expliquer au Tgi que les
extraits proposés sur Recherche de livres correspondent
exactement, précisément et rigoureusement au droit de
citation ? On peut lire tous les livres qui nous tombent sous
la main et, n'importe quand, on peut en faire de brèves
citations de quelques lignes, si elles ne permettent pas de
reconstituer l'ouvrage; on peut même en faire des index et
des concordances; voici une machine qui fait exactement la
même chose, mais avec une puissance mnémonique
automatique phénoménale. En quoi serait-ce
interdit ? Condamner Google pour cette raison de
« contrefaçon » d'ouvrages sous droits,
c'est proprement ridicule.
Il suit, bien entendu, que les tribunaux de
France prouvent ainsi, en se ridiculisant, qu'ils sont au service
de leurs concitoyens. Des Français ? Étant
donné ce jugement loufoque et inique, il est clair que la
justice française n'est pas, comme son devoir l'exigerait,
une institution dédiée aux droits de tous,
égaux devant la loi, les Français comme les
étrangers, les commerçants français comme les
autres citoyens de la République. Non. Manifestement, la
« justice française » a servi les
intérêts de commerçants français, les
marchands de copyrights. Est-ce que le Tgi a pris en compte le
droit des lecteurs, des étudiants, des professeurs et des
chercheurs français à jouir du travail inoffensif
d'une entreprise étrangère, Google, dont le
siège social se trouve en Californie ? Non. Honte
à la République.
Reste pourtant le discours de la
République, car on peut du moins encore s'amuser :
« Pour le SNE, [l'appel de Google],
c'est la procédure de trop. "Ils veulent faire comme aux
États-Unis et tout acheter avec leurs milliards. Or en
France, pays de culture, on négocie. Nous sommes pour la
numérisation car elle élargit le marché. Mais
ce n'est pas gratuit. On s'adaptera, pas besoin des
Américains pour nous dire quoi faire", s'agace Serge
Eyrolles. Seule solution pour poursuivre le combat selon
lui : "le soutien du président de la
République" ». —— (Le Figaro,
18 décembre 2009).
La « France, pays de culture » ! On croit
rêver en lisant de telles sottises, mais c'est bien la
pensée intégriste et inculte de ces cowboys
qui se prennent pour les shérifs de l'internet.
—— Sources : Le Monde du 17 décembre 2009 (sic:
on sait que le journal est anti-daté d'une journée,
mais là, il serait post-daté !),
Le Figaro du 18 et du 22 décembre, la dépêche
d'Associated Press parue dans le Devoir du 19-20
décembre.
—— Bibliographie :
André Gunthert, « J'aimerais que Google rende
visible mon livre sur le net », Totem, 19
décembre 2009, blogue de l'auteur :
< http://CultureVisuelle.org/totem/324 >.
Lucien X. Polastron,
« Google, l'Histoire te regarde ! », le
Monde, 19 décembre 2009.
Si vous lisez les juristes, vous verrez qu'ils
s'en donnent à coeur joie sur le déjà fameux
jugement du Tribunal de grande instance de Paris. Ils
frétillent.
En revanche, il vous suffit de lire ce
jugement pour comprendre qu'ils font la paire : je parle des
tribunaux et des lois pour juristes, de la justice française
et de son fabuleux Code de la Propriété
intellectuelle. Se ridiculiser à ce point est vraiment un
rare tour de force, si l'on n'est pas une république de
bananes, surtout que le jugement s'applique à une petite
compagnie privée de Californie.
Je ne vais pas m'amuser (pour
l'instant !) à vous
résumer ce jugement à la noix de coco. Mais je vous
propose de le lire : rarement vous ne rirez autant. Certes,
les juristes ne manqueront pas d'en faire de beaux exposés,
sauf qu'en principe, les exposés (juridiques,
littéraires, philosophiques, etc.), cela vient après
l'appréciation de bon sens (qui doit être claire et
nette), jamais avant. Le jugement du Tgi de Paris est sot et
stupide, peut-être (mais ce n'est pas certain du tout) parce
que la loi française est sotte et stupide. Après en
avoir convenu, un juriste, un littéraire ou un philosophe
peut disserter et la première question est alors de savoir
où se trouve donc la sottise : dans le jugement ou la
loi qu'il prétend appliquer ? À remarquer
toutefois que les deux peuvent être sots et stupides sans
partage.
La preuve ? Trois petits extraits du jugement
commentés, qui devraient normalement inciter à la
fureur l'intelligence la moins douée.
Un peu de statistique, pour
commencer :
| |
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[Attendu] que le constat du 26 septembre 2007 révèle
de la même manière selon les demanderesses 9220
références en tapant le mot
« Seuil », 5453 références en
tapant les mots « Editions du Seuil », 893
références en tapant le mot
« Delachaux », 517 références en
tapant le mot « Delachaux & Niestlé »,
1126 références en tapant le mot
« Abrams » et 783 références en
tapant les mots « Hany N. Abrams »;
[Attendu ] que cependant selon le procès verbal d'huissier
dressé le 10 avril 2008 à la requête de la
société Google Inc., par Maître
Jérôme Legrain, huissier de justice associé
à Paris, 112 résultats apparaissent pour les ouvrages
publiés au Seuil, 147 pour les ouvrages édités
par la société Abrams et 62 pour les ouvrages
édités par la société Delachaux &
Niestlé... (Jugement, p. 20).
|
| |
Comme vous le voyez, le Tgi ne doit pas être de Paris, mais
certainement d'une république de bananes incapable de faire
la différence entre le système de recherche de Google
et son programme Recherche de livres. D'où la
différence entre les deux évaluations. Amusant, pour
juger d'un jugement d'un grand tribunal d'un pays civilisé,
vous ne trouvez pas ? Je suis mort de rire. Lisez maintenant la
seconde proposition de l'attendu qui suit et celle qui vient deux
alinéas plus loin :
| |
|
Mais attendu que ces dispositions ne peuvent trouver à
s'appliquer en l'espèce dès lors que les couvertures
concernées sont communiquées au public dans leur
intégralité, même en format réduit, et
que l'aspect aléatoire du choix des extraits
représentés dénie tout but d'information tel
que prévu par l'article L 122-5 3 du Code de la
Propriété Intellectuelle...
[...]
que par ailleurs l'affichage sur le site Internet incriminé
d'extraits d'oeuvres que la société Google Inc.
reconnaît tronqués de façon aléatoire et
sous forme de bandeaux de papier déchirés portent
atteinte à l'intégrité des oeuvres dont sont
auteurs [Maritain, Godbout, Pividal, Goudel. Forestier et Cixous,
je vous jure !] les six membres de la SGDL identifiés
dans le cadre de la présente procédure... (Jugement,
p. 16).
|
| |
Vous avez bien lu : lancer une
procédure de recherche informatisée sur une oeuvre
publiée et en produire quelques extraits en fonction d'une
recherche d'occurrences, sur un roman de Jacques Godbout, par
exemple, c'est interdit par la justice française en vertu de
son Droit à la Propriété intellectuelle. Et
vous allez trouver des juristes, bien entendu, pour discuter le
coup ! Car en fait, vous ne le saviez peut-être pas,
mais la justice de France pourrait légiférer sur
votre droit à respirer, à sentir et, surtout,
à regarder. Pour votre droit de lire (qui découle
pourtant de votre droit de regarder, voire de voir), il est
sérieusement réservé en exclusivité
à vos yeux ! Pour l'utilisation des lunettes, le Tgi
n'a pas encore statué, mais n'essayez pas d'utiliser une
photocopieuse ou un scanneur dans votre bureau, car c'est interdit;
vous ne pouvez en tirer aucune information, c'est interdit;
interdit de publier aucun index des noms propres d'un ouvrages sous
droits avant 70 ans — la liste des auteurs cités par
Hélène Cixous, par exemple. C'est interdit. Je
n'avais absolument aucune idée de ces interdictions
loufoques avant que le Tgi de Paris ne le proclame à la
ville et au monde. Oui, je sais, le Tgi a déjà
condamné des collégiens pour avoir produit un
sous-programme informatique permettant de jouer au jeu des Cent
mille milliards de poèmes de Sally Mara. Non, non, je ne
vais pas vous servir ce doukisortessescons, puisque c'est
évident : de la justice française. En voici le
principe de base :
| |
|
Attendu cependant que la numérisation d'une oeuvre,
technique consistant en l'espèce à scanner
l'intégralité des ouvrages dans un format
informatique donné, constitue une reproduction de l'oeuvre
qui requiert en tant que telle, lorsque celle-ci est
protégée, l'autorisation préalable de l'auteur
ou de ses ayants droit... (Jugement, p. 15).
|
| |
Tous ces Motifs de la décision
sont tellement niais, sots, stupides qu'il n'y a pas autre chose
à faire, je suppose, que de s'en amuser pour les
dénoncer.
Il paraît que le ridicule tue. J'en
doute, mais espérons.
—— Source : Jugement du Tribunal de grande instance de
Paris sur juriscom.net :
< juriscom.net/documents/tgiparis20091218.pdf >
|
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Résumer un texte juridique n'est
vraiment pas amusant. Mais nous serons maintenant
récompensés, avec l'entrée en scène des
clowns, malheureusement dans la version Falardeau et non dans celle
de Fellini, quoique ce n'est pas pour me déplaire. New York,
Paris, Montréal : Robert Darnton, Christian Rioux,
Guylaine Beaudry.
2. Les jérémiades
new-yorkaises
Partout au monde occidental, depuis le
début de l'année 2009, les éditeurs et les
auteurs ont reçu de leurs associations un
résumé détaillé renvoyant à
l'original de ce projet d'entente (pour faire savoir au plus grand
nombre possible d'ayants droit qu'on peut se retirer de l'entente
déposée à la cour). Aussi, jamais je n'avais
pensé en proposer le sommaire ci-dessus. Mais c'est devenu
nécessaire puisqu'il apparaît que même des
bibliothécaires comme Robert Darnton à New York
(reproduit à Paris) peuvent en dire n'importe quoi, voire
même des présidents d'Association de
bibliothécaires, comme Guylaine Beaudry à
Montréal. En fait, cet humour blanc, qu'on pourrait prendre
au sérieux si l'on n'était pas un tout petit peu
informé, constitue le baroud d'honneur des chevaliers et
défenseurs de la République française contre
Google. Qu'on en juge et s'en amuse.
Commençons par les
jérémiades (c'est lui qui le dit) de Robert Darnton.
Il sévit à la New York Review of books. Il a
été jeune reporter (au NYT en 1964-1965) et son
frère, John Darnton, occupait dans la presse un poste
administratif de premier plan. Cela aide beaucoup pour avoir droit
de parole à la NYRB, avec des répliques nombreuses
quand on se les mérite, mais réduites à la
rédaction, avec droit de réponse à la clef.
En plus, il faut dire que Robert Darnton peut produire de bons
« papiers » propres à faire vendre de la
copie. En effet, son art consiste à utiliser son prestige
de professeur pour faire mousser des opinions personnelles, au
service de ses amis, dans un domaine — c'est le projet de
Google, puis le projet d'entente de Google — où il
improvise avec tant de nuances que c'est finalement sans nuance.
Bref, plaire à ses amis par ses prises de positions, plaire
au public par esbroufe et dénigrer un projet et un projet
d'entente sans aucune raison, contre les intérêts de
sa propre université, de sa propre bibliothèque.
Ses bons amis. Celui qui sévit si
facilement sans partage à la New York Review of books
est Chevalier de la Légion d'honneur et ami de nul autre que
Jean-Noël Jeanneney, le fameux auteur de Quand Google
défie l'Europe. Il suit que sa dernière tartine
à la NYRB se retrouvera comme par enchantement en
première page du Monde diplomatique, dans son
numéro de mars 2009 (l'original de New York est du 12
février), avec un titre bien français :
« Accès public, contrôle privé :
la Bibliothèque universelle, de Voltaire à
Google ». L'article original s'intitulait, plus
abruptement, « Google and the Future of Books »
(NYRB, vol. 56, no 2, 12 février 2009). Moins
d'un an plus tôt, le Chevalier de la Légion d'honneur
avait déjà fait un premier tour de piste au tournoi
du grand discours de le République contre Google, avec un
article qui avait la même teneur : « The
library in the New Age » (NYRB, vol. 55, no 10,
12 juin 2008). Encore avant, notre professeur et
bibliothécaire avait déjà commis un article
portant sur sa marotte du coût exorbitant des abonnements aux
revues électroniques : « The New Age of the
books » (NYRB, vol. 45, no 5, 18 mars 1999).
Je le signale pour régler tout de suite une question qu'il
reprendra comme une grande nouvelle dans ses deux articles
ultérieurs, avec le bel exemple du coût de
l'abonnement annuel de 26.000 $ au Journal of Comparative
Neurologie (le Monde diplomatique, bel encadré de
la page 25). Réponse : on vit bien dans le monde
économique de l'offre et de la demande, non ? Alors il
suffit d'annoncer aux médecins et professeurs de neurologie
de Cambridge qu'à ce coût-là la
bibliothèque n'est pas preneur et qu'ils doivent se cotiser
s'ils veulent garder l'abonnement. C'est simple, il me semble,
s'agissant d'un cas particulier tout à fait exceptionnel.
— D'autant que c'est une question classique de la
bibliothéconomie, le coût relatif des livres et des
périodiques, puis les coût dédoublés des
périodiques que l'on peut acheter sur papier et sous
forme électronique, dédoublement qui fait le
casse-tête des bibliothèques. Mais je suis moi aussi
hors sujet, à la suite de Robert Darnton. Ce qui concerne
le débat, en revanche, c'est l'idée que les
coûts de vente sur Recherche de livres pourraient augmenter,
« comme ce fut le cas pour les revues
scientifiques », au gré de Google et de
manière déraisonnable : mais outre que la
question est encadrée dans le projet d'entente, comme on l'a
vu, il s'agit là d'un pur procès d'intentions.
Ses savantes idées. Toute la
rhétorique de l'article de 2008, « The library in
the New Age », consiste à noyer sa critique de
Recherche de livres de Google dans une présentation fort
savante de la fameuse histoire de l'imprimé en quatre
célèbres épisodes : papyrus, manuscrit,
imprimé et internet (en fait, c'est la fumeuse chronologie
mythique vélo-moto-auto, et peu importe que notre savant
historien du livre ait un peu de retard, croyant encore que le
codex aurait été une révolution de la mise en
page, au lieu de ce qu'elle a été, soit l'utilisation
de la feuille recto-verso, tout simplement). L'exposé
illustre facilement que de tout temps l'organisation technologique
de l'information a dû être
réinterprétée par ses utilisateurs, comme il
en donne l'exemple sur son travail de reporter où les
journaux filtraient la nouvelle en fonction du profilage racial et
national, par exemple. Et de montrer sans peine que toutes les
formes de l'édition imprimée, notamment les
éditions littéraires d'oeuvres complètes,
n'ont jamais été moins instables que dans le Nouvel
Âge de l'internet. Et voilà qu'on arrive, Dieu sait
comment, au grave problème posé par le programme
Recherche de Livres. Sourire du lecteur un peu au parfum. C'est
la seconde partie de l'article. Elle correspond ni plus ni moins
à l'amusante dissertation de collège sur le sujet
suivant : croyez-vous, oui ou non, que le projet Recherche de
livres peut remplacer et tuer les bibliothèques et en
particulier les bibliothèques de recherche ?
L'élève Darnton a choisi de répondre non, bien
entendu, et remet une excellente copie de baccalauréat ou de
collège secondaire. Il ne fait pas de doute que le
correcteur, amusé, lui reprochera gentiment d'accabler
inutilement Google, mais il comprendra aussi que nous sommes tout
de même au collège et que le bon élève
se laisse emporter par la rhétorique du discours de la
République, ce qui est tout de même plaisant; on y
retrouve en effet, dans un autre désordre, on va le voir, la
plupart des idées curieuses, inadéquates et surtout
très drôles de ce bon soldat Jean-Noël Jeanneney,
Général des légions bibliothécaires de
la République, dans sa guerre contre le barbare Google. En
tout cas, la première partie de l'article de Darnton a pour
seule fonction de faire croire que son savant auteur doit
être un fameux spécialiste des questions relatives aux
bibliothèques électroniques.
Même chose pour l'article de 2009,
« Google and the Future of Books ». Mais cette
fois l'article ne se divise pas en deux parties. Il
entremêle plutôt les thèmes humanistes des
Lumières, c'est la République des Lettres, et une
charge de plus en plus insistante contre le projet d'accord de
Google qui nous empêcherait de passer à une
véritable République électronique du Savoir,
la Bibliothèque électrique nationale (National
Digital Library) mise en place par l'État,
contrôlée par le Congrès. Voici le sujet de la
nouvelle dissertation : croyez-vous, oui ou non, que le
projet d'entente de Google peut enfin réaliser le rêve
des Encyclopédistes ? relancer, sous une forme
nouvelle la République des Lettres, l'Encyclopédie de
Diderot, les correspondances humanistes des Rousseau, Voltaire,
Franklin et Jefferson ? Le bon élève va encore
répondre non, mais la copie cette fois-ci sera franchement
mauvaise. Comme aussi son principal argument
répété inlassablement, à savoir qu'on
ne peut se fier à une compagnie privée (Google) pour
réaliser un projet d'État (la NDL). Toutefois, la
dissertation n'en est pas moins sympathique, voire admirable, par
la rhétorique de sa composition où tout le
Siècle des Lumières est convoqué, aussi bien
positivement que négativement, avec brio, pour s'en prendre
au projet de Google sous prétexte d'interroger l'avenir du
livre et l'avènement d'une République du Savoir.
Le dénigrement du projet Recherche de
livres. Robert Darnton est devenu directeur de la
bibliothèque d'Harvard en 2007, succédant à
Sidney Verba (directeur des bibliothèques d'Harvard depuis
1984), qui avait présidé à l'entente de Google
et de son université, avec les trois autres
bibliothèques fondatrices états-uniennes en 2004.
Dès lors, le Chevalier de la Légion d'honneur n'aura
de cesse de dénigrer et de contrecarrer le projet.
Heureusement, il ne réussira qu'à ridiculiser son
université, à ne nuire qu'à une seule et
unique bibliothèque de recherche, la sienne, et à se
retrouver aujourd'hui dans le présent essai consacré
au discours de la République contre Google, pour notre plus
grand plaisir. « Robert Darnton told his staff that
Google's settlement with the Author's Guild "contains too many
potential limitations on access to and use of the books by members
of the higher-education community and by patrons of public
libraries... — For now, the Harvard University Library will
continue to explore other ways to open up its collections more
broadly for the common good" » (extrait du
communiqué de presse qui s'est trouvé dans tous les
journaux de Boston en décembre 2008). Comme pouvaient le
faire les quatre librairies fondatrices, Harvard limitait dans un
premier temps sa participation aux livres du domaine public; ce
contrat reste en vigueur, n'en déplaise à l'ami de la
République française, de sorte que tous les livres du
domaine public d'Harvard sont scannés; là
s'arrêtera la contribution d'Harvard ? Peu importe pour
le projet, puisque ce sont ses livres du domaine public, les plus
anciens, qui constituent son apport le plus important, ce qui sera
à la gloire de Sidney Verba. La honte de Robert Darnton
sera d'avoir soustrait son Université des
bibliothèques fondatrices du projet de Google. — Pour
mon enquête journalistique, je dois préciser que je
n'ai pu prendre contact avec aucun bibliothécaire d'Harvard,
ce qui est normal (le « staff » est sous la
houlette du « head » de la bibliothèque,
traduit par le mot « patron » dans la presse
française et Robert Darnton lui-même); non plus
encore, malheureusement, avec des collègues universitaires.
On ne peut donc pas savoir si les actions de Robert Darnton ont
l'appui de ses « commettants ». On me
permettra d'en douter.
Pourquoi ? Tout simplement parce que ses
arguments sont amusants. Je vous les énumère tous,
sans exception. Je commence d'ailleurs par ceux qui sont hors
propos et qui n'ont rien à voir dans le débat. Il
est assez évident que la copie électronique d'un
livre ne saurait remplacer l'objet pour en faire l'étude
bibliographique : cela concerne les dimensions du livre, la
trame de son papier et ses filigranes, les qualités des
encres et des papiers, comme les autres traits matériels.
Le bon sens le plus élémentaire comprend que cela n'a
rien à voir avec l'entreprise de Google. Pourtant, ce
projet sera utile aux études bibliographiques, notamment
pour pouvoir confronter de nombreux exemplaires à
l'« exemplaire de base » à peu de frais.
Le collégien aussi doué que facétieux, car il
s'agit là d'un argument déplacé, veut mettre
dans son argumentaire le grain du papier et l'odeur des livres. Au
collège comme au collège : qu'est-ce qu'il ne
faut pas entendre !
Il est aussi évident que la copie
électronique ne saurait remplacer le livre pour la lecture.
Sur ce point, les « arguments » tombent
à plat, car nulle part on ne trouve dans ses interventions
les avantages du texte électronique pour la recherche, ni au
sens technique ni au sens intellectuel. C'est surtout surprenant
après les grandes génuflexions du grand Robert
Darnton pour les grands espoirs qu'auraient suscités pour
lui les grandes entreprises de rendre grandement accessibles sur la
grande toile de grandes centaines de grands livres de la grande
Fondation du grand Voltaire (the Big Electronic
Enlightenment). Apparemment le grand chercheur connaît
de nom, comme bibliothécaire, les fonds d'archives sur la
toile, mais n'en a jamais utilisé aucun, car ses textes ne
font preuve d'aucune expérience ni même d'aucune
connaissance de l'impact de Recherche de livres sur les travaux des
chercheurs. Autrement, la réponse à la seconde
dissertation serait plutôt « oui », n'en
déplaise à la rhétorique de ses maîtres
d'école.
Avant d'en venir à ses
« arguments », il faut encore dire que jamais
Robert Darnton n'expose ni les projets de Google qu'il
dénigre et encore moins les arguments de leurs partisans.
Dans une classe de collège, pour la dissertation, cela ne
pose aucun problème (car on peut répondre oui ou non,
sans conséquence aucune); pour un exposé sous son
autorité de professeur, cela n'est pas acceptable. Jamais
Robert Darnton ne présente, ni le projet de Google en 2008,
ni le projet d'entente en 2009, autrement que par de petites
notules jalonnant ses exposés, alors qu'il ne manque pas de
dire qu'il n'intervient que de biais dans des problèmes
complexes dont l'avenir est incertain ou sur un projet d'entente
qui est vraiment très « complexe »
— « I cannot pretend to offer easy answers, but I
would like to put the question in perspective... » :
non, monsieur, si l'on n'est pas capable de comprendre et d'exposer
un problème, mieux vaut ne pas intervenir; c'est d'ailleurs
le principe premier de l'enseignement et ce qui le distingue de
l'homélie pastorale.
Énumérons maintenant les huit
critiques numérotées par Robert Darnton dans son
article de 2008 :
- Google ne peut pas
prétendre tout
scanner;
- Google ne peut pas
prétendre tout scanner
(bis);
- Google ne pourra pas tout
scanner à cause
des copyrights;
- Google peut
disparaître demain, pas les
bibliothèques;
- Google n'est pas à
l'épreuve des
erreurs de scanneur;
- Google ne produit pas des
livres d'encre et de
papier;
- Google ne range pas ses
livres
adéquatement, comme les
bibliothèques;
- Google ne scanne pas le
grain du papier ni
l'odeur de l'encre.
1. Il faut arrêter de croire
que Google
scannera tous les livres du monde sans exception. Même en
s'en tenant aux livres états-uniens, c'est une utopie. La
preuve ? Robert Darnton vient de découvrir un livre
extraordinaire que personne d'autre que lui ne connaît,
les Bohémiens d'un certain marquis de Pelleport, qui
rédigeait à temps perdu à la Bastille en
même temps que notre marquis préféré.
Il n'y en a que six exemplaires au monde et comme celui des
États-Unis se trouve à la bibliothèque du
Congrès, na! na! il ne sera jamais dans la banque de Google.
Si l'exemplaire se trouve en France, comme il est fort probable, il
est convenu que Jean-Noël Jeanneney le réservera pour
Europeana (2007-2008).
2. Robert Darnton a compté
exactement 543
millions de livres dans les bibliothèques de recherche des
États-Unis (ce nombre aussi astronomique que comique
s'obtient en multipliant par 60% le nombre d'ouvrages compris dans
toutes ces bibliothèques). Le but de Google est d'en
scanner 15 millions. Faites vous-même la soustraction.
3. Na ! Même si Google
pouvait techniquement et physiquement tout scanner, les tribunaux
ne manqueront pas de l'en empêcher. — Les copyrights,
franchement,
on
connaît. Les livres sans ayants droit, les héritiers
comme le neveu du grand tonton Queneau. etc. À se demander
si Robert Darnton n'en ferait pas un avantage sportif des
« adversaires » de Google.
4. « Google peut
disparaître ou
être dépassé par une technologie
supérieure ». Je ne vous amuserai pas plus
longtemps en traduisant la suite qui exprime la crainte que les
fichiers de Google suivent le sort des vieilles grandes disquettes
de Robert Darnton. On a très peur. Heureusement que notre
auteur n'est pas un ingénieur à l'emploi de
Google. Faut-il croire que les bibliothèques
sont à l'épreuve du feu et des inondations ?
Sans compter que voilà une remarque étonnante de la
part d'un bibliothécaire, étant donné le peu
de livres qu'il nous reste depuis les Sumériens. Alors
même que les bibliothèques participantes comptent sur
la copie informatique de leur fonds pour en réparer les
accidents dans l'avenir. Cela dit, une copie informatique n'est
pas moins précieuse qu'une copie manuscrite, une photocopie
ou un microfilm. On ne devrait pas avoir à expliquer
à un bibliothécaire qu'une copie n'a pas pour
fonction de remplacer l'original, mais de le protéger et de
le communiquer plus facilement.
5. « Google will make
mistakes.
Despite its concern for quality and quality control, it will miss
books, skip pages, blur images, and fail in many way to reproduce
texts perfectly. Once we believed that microfilm would solve the
problem of preserving texts. Now we know better ».
C'est tout le cinquième point. Comme c'est le plus court,
et pas le moins hilarant, je vous le recopie au complet. Car on ne
trouve pas plus de fautes de caméra (pour les microformes)
que de scanneur (pour nos ordinateurs), c'est le bon sens qui le
dit. Et à mon avis (comme chercheur aux prises avec les
poussiéreux projecteurs de microfilms, où il fallait
s'arracher les yeux sur des livres qu'on refusait de nous
communiquer sous prétexte qu'ils avaient été
microfilmés pour qu'on ne puisse plus y toucher), je pense
que Robert Darnton doit être la seule personne au monde,
bibliothécaire de surcroît, à avoir jamais fait
confiance au microfilm pour assurer l'avenir du livre. J'ai
reproduit assez souvent des microfilms sur papier pour savoir ce
que ne sait pas notre Robert Darnton, s'il ne fait pas du stand up
comic. On parle anglais : Now we know better, Google Book
Search, yes ! Ah non, ce n'est pas sa conclusion ?
6. « Les documents peuvent
se perdre
dans le Cyberspace » : Robert Darnton, s'il ne fait pas
dans l'humour noir, doit ignorer, je ne sais trop par quel parti
pris, combien de livres se perdent en bibliothèque. Comme
chercheur, j'ai reçu trop souvent la réponse
« manque en place » pour craindre la mise en
orbite des copies informatiques sur l'internet, bien au contraire.
Cela fait partie des arguments hors propos, comme je l'ai dit.
7. Ce point est intéressant,
et non des
moins comiques, car il énumère des
« arguments » improvisés à la
queue leu leu. Google classe les livres de manière
arbitraire et secrète, à l'aide d'un algorithme
magique, comme chacun sait depuis que la République a
expliqué que les livres français ne seraient jamais
classés en tête par des
« Américains »; classement : en
effet, il n'y a pas un seul bibliothécaire au service de
Google; bibliothécaire : qui donc va pouvoir dire
quels sont les éditions autorisées des ouvrages
recherchés ? — Telles quelles, ces questions
n'ont aucun sens, parce qu'on ne peut les poser qu'en contexte, de
manières très différentes dans une
bibliothèque publique municipale ou une bibliothèque
de recherche, dans une bibliothèque virtuelle ou une
bibliothèque électronique.
8. Google a déjà
annoncé la
commercialisation d'une bonbonne odorante intégrée
aux ordinateur et d'un écran érotique qui vous
permettront de sentir et de caresser ses fichiers informatiques.
En laboratoire, les prototypes font déjà concurrence
aux départements des Livres rares. Quelques rats de
bibliothèques fanatiques ont dû être
traités en psychiatrie.
À la suite de sa première
tartine et des réactions qu'elle a suscitées, Robert
Darnton a tout de suite mis au point sa
« théorie » visant à
écraser le projet de Google pour justifier le retrait de son
université du groupe des quatre bibliothèques
universitaires fondatrices. Son argument se construit
négativement sur « the Electronic Enlightenment
[of] the Republic of Letters » (NYRB, 55: 12, 17 juillet
2008), qui ne peut venir de Google, ni maintenant de l'Open Content
Aliance, mais d'une vigoureuse action de l'État, une
« congressional action » ! (l'expression
est trop belle pour être traduite) dédiée au
bien public (NYRB, 55: 13, 14 août 2008). Ce sera le seul et
unique argument répété tout au long de
l'article de 2009 repris par le Monde diplomatique. Or, en
fait, l'argument est facétieux parce qu'aux
États-Unis ou en Amérique du Nord (nous ne sommes pas
ici en France) personne ne peut confondre une très grande
entreprise privée avec un monopole, cela n'a aucun sens dans
une société de droit capitaliste. Certes, Robert
Darnton utilise prudemment la figure rhétorique du
« quasi-monopole » (voire l'humoristique
« virtual monopoly »), mais il se prend par
là même à son propre jeu. Il est
évident que le projet d'entente de Google implique la loi
anti-trust (avec la mise en place de son Registre et sa
manière de contourner la loi du copyright pour les livres
orphelins sous droit), mais d'aucune manière son importance
et sa puissance, c'est le bon sens qui le dit : en quoi est-ce
qu'une compagnie n'aurait pas droit de devenir la plus grosse et
d'interdire, de ce fait toute concurrence ? C'est
l'objectif économique du moindre commerce ! C'est
toute la différence entre les compagnie Coca-cola et Bell;
la première était la plus puissante des compagnies de
boissons pour enfants avant de partager son hégémonie
avec son concurrent Pepsi; la seconde était un monopole
avant d'être forcé par la loi à la
déréglementation.
Or, Robert Darnton se trompe même sur ce
point. La compagnie Google est loin d'être à l'abri
de la concurrence dans tous les domaines où elle est
actuellement en tête de liste pour ses performances, à
commencer par le système de recherche qui fait son fonds de
commerce. C'est vrai partout où il s'agit de transmettre
l'information (internet, téléphone,
télévision et radio, en fonction de nombreux types de
serveurs), comme aussi dans les manières de la gérer.
En ce qui concerne l'offre des bibliothèques virtuelles et
électroniques, l'écart entre Google (avec son
programme Recherche de livres) et les autres participants est
aujourd'hui considérable, mais n'a rien d'insurmontable. La
technologie qui a permis à Google de scanner en quelque cinq
ans dix millions de livres est aujourd'hui du domaine public; les
bibliothèques qui ont participé au projet de Google
seront vite tentées, avec l'expérience fructueuse, de
recommencer l'aventure avec d'autres partenaires — notamment
pour faire la preuve qu'elles ne sont pas sous la croupe de la
compagnie californienne; enfin, lorsque la technologie aura
passé aux toutes petites bibliothèques
privées, la vôtre comme la mienne, le
« projet » Recherche de livres de Google aura
besoin d'avoir des assises très solides pour ne pas
être détrôné par les entreprises qui le
prendront d'assaut avec ces forces pyramidales. Bref, Robert
Darnton utilise les notions de monopole et de quasi-monopole
à la légère.
Il suit qu'il n'a pas l'air d'imaginer un
instant ce que serait un « monopole
d'État » contrôlant sa fameuse National
Digital Library. Notre sublime Guylaine Beaudry, présidente
de la Corporation des libraires
« professionnels » du Québec, en
remettra, un peu, et proposera, sans rire, une bibliothèque
mondiale ! (du genre « bibliothèques du monde
entier, unissez-vous ! » et faites de vous des
alexandrines, comme dans les grandes épopées on fait
des alexandrins). Mais même si notre savante
présidente saura en rajouter, Robert Darnton ne manque pas
non plus d'humour blanc, même s'il n'atteint pas ces
sommets.
Mais peu importe, il atteint ses
objectifs : se porter à la défense de ses amis
parisiens, faire de l'esbroufe à bon compte et
dénigrer le projet de Google sans raison (car, comme on le
voit, il n'y en a aucune qui tienne). Le moins comique n'est pas
d'en avoir la preuve par sa reproduction en première page du
Monde diplomatique. C'est le Monde au service
national de la République.
En reprise à
Montréal
Le spectacle des jérémiades new-yorkaises
à
Montréal (28 mai 2010)
—— Nouvelle représentation ——
| |
Je ne sais pas encore qui peut avoir
été
à la source de l'invitation de Robert Darnton au
Congrès des Sciences
humaines, à l'Université Concordia de
Montréal, au printemps
2010. Il s'agissait là, à cette date, d'une
entreprise de
désinformation. S'il fallait une conférence sur
l'état des
bibliothèques électroniques dans la recherche
universitaire, et en
particulier sur le rôle du programme Recherche de livres de
Google à cet
égard, c'est évidemment Paul Courant, le responsable
des
bibliothèques de l'Université du Michigan, qu'il
fallait inviter, pour
la raison toute simple et élémentaire qu'il ne peut
pas, lui, comme
Robert Darnton, présenter son point de vue à la NYRB,
avec traduction
simultanée au Monde diplomatique. Et si l'on voulait
un
débat, alors il fallait les inviter tous les deux.
Dès lors, Robert
Darnton aurait été perçu pour ce qu'il est, un
dinosaure qui
court maintenant après sa queue en espérant mordre
Google.
Cela dit, entendre à Montréal,
en mai 2010, dans
un tout nouvel emballage rhétorique, les critiques
inadéquates et les
accusations sans fondement que je viens de passer en revue, cela
aura
été un beau spectacle. On peut le voir ou le revoir
dans
l'enregistrement vidéo du Congrès :
experience.congress2010.ca/archives/505
Robert Darnton, « Technology and the book »,
« La
technologie et le livre », conférence
présentée comme un
« débat critique sur l'avenir des livres et du
savoir dans
l'environnement numérique », en
anglais avec
traduction simultanée en français, Congrès
2010 des
Sciences humaines, Université de Concordia,
Montréal, 28 mai
2010.
Résumé de Guy Laflèche.
Aucun fragment
du résumé ci-dessous ne peut être
attribué textuellement
à Robert Darnton. J'ai pris des notes, au cours de sa
conférence,
sans penser que j'en ferais ensuite le résumé. Mais
non seulement
j'ai revu mes notes le soir même de la conférence et
j'ai
rédigé ce résumé dès le
lendemain, mais je l'ai
ensuite corrigé à partir de l'enregistrement
vidéo
diffusé par le Congrès.
Introduction
Les jérémiades sont certainement
plus
habituelles aux États-Unis que partout ailleurs et portent
sur toutes sortes
de sujets, parfois avec raison : hier, l'inondation de
l'ouragan Katrina,
aujourd'hui, la marée noire de la British Petroleum (BP),
hier, la crise
économique, aujourd'hui, encore la crise économique,
etc. Mais, lui,
ses jérémiades sont celles du responsable des
bibliothèques
de l'Université Harvard.
Il commence toutefois par les bonnes nouvelles
et les raisons
de se réjouir. Il tient à signaler l'extraordinaire
richesse de la
bibliothèque de Harvard, comme aussi de l'ensemble des
bibliothèques
à travers le monde (car il n'y a aucune raison d'être
chauvin à
cet égard et il profite de l'occasion pour réagir
contre la tendance
qu'il a souvent remarqué chez les bibliothécaires,
celle de
déclarer que « ma bibliothèque est plus
grosse et riche que
la tienne »). D'ailleurs, c'est tout simplement de
« la » bibliothèque que l'on doit
être heureux et
il rappelle à cet égard son entrée, dans sa
jeunesse, pour la
première fois, dans un département des Livres rares
où il a
passé des heures magiques à lire Emerson
annoté par
Melville.
D'ailleurs, ce plaisir s'est renouvelé
continuellement,
jusqu'à son enseignement aujourd'hui où il donne un
cours sur
l'histoire du livre. Il fait en sorte que ses étudiants
puissent toucher
la fameuse bible de Gutenberg qui marque le début de
l'imprimerie et fait,
comme nous savons tous, le joyau de la bibliothèque de
Harvard (oui, oui,
répétera-t-il, en période de questions, sans
rapport avec
aucune question : c'est excitant, pour des étudiants,
de toucher
vraiment notre exemplaire de la bible de Gutenberg et, avec
quelques
précautions, il n'y a aucun danger, contrairement à
ce qui se passe
pour les livres aux papiers fragiles du XIXe siècle).
Son cours est l'occasion d'expliquer que les
médias ne
se remplacent pas les uns les autres. Non seulement le manuscrit
a perduré
longtemps après l'imprimerie, mais en fait la bible de
Gutenberg
n'était qu'un manuscrit produit mécaniquement, rien
de plus.
Même chose, bien entendu pour le codex que représente
la bible en
question, le livre, qui va poursuivre longtemps sa carrière,
en dépit
du développement des livres informatiques, dont on a
pourtant observé
depuis un an une augmentation de pas moins de 45%. Bref, la mort
du livre n'est
pas la prédiction de bons prophètes. C'est ce que
dit un des
meilleurs graffiti
qu'il connaisse, celui d'un grand mur de la bibliothèque de
Princeton : « Dieu est mort —
Nietzsche »,
rayé, puis « Nietzsche est mort —
Dieu ».
Mais Darnton ne se propose pas de prouver
l'évidence,
soit la pérennité du livre. Il est là pour
exposer ses
jérémiades. Il en présentera trois
séries.
1. Les coûts exorbitants des
périodiques pour les
bibliothèques universitaires
Robert Darnton développe cette question
classique pour
les responsables des bibliothèques universitaires, comme
pour tous les
chercheurs, et il le fait évidemment « chiffres
à
l'appui ». Peu importe ces chiffres impressionnants, car
ils ont pour
fonction de montrer à son auditoire qu'ils sont
astronomiques, notamment en
ce qui concerne les abonnements aux revues scientifiques (notamment
en
médecine et en chimie).
Il prétend que les professeurs et les
chercheurs
universitaires ignorent ces faits.
Il expose alors le dilemme bien connu des
bibliothèques
universitaires qui doivent équilibrer leur budget en
fonction des achats de
périodiques d'un côté (dont il vient de dire
que leur
coût a augmenté de manière exponentielle et,
évidemment,
déraisonnable) et les monographies de l'autre. Tout cela
constitue le
cercle vicieux et académique bien connu : les
professeurs et
chercheurs publient pour leurs pairs, c'est-à-dire pour
eux-mêmes;
ce sont des organismes qui doivent se financer qui les publient,
les presses
universitaires, et ce sont les bibliothèques universitaires
qui les
subventionnent en les achetant, de sorte que ce sont eux, les
professeurs et les
chercheurs, qui payent leurs propres livres. En tout cas, Robert
Darnton a
observé
un déséquilibre croissant : 75% du budget des
bibliothèques universitaires sont aujourd'hui
consacrés aux
périodique, alors que c'était 50% il n'y a pas dix
ans (alors que
l'accroissement du coût des périodiques n'a aucune
commune mesure avec
l'inflation). Ce sont les publications universitaires de
monographies, les
thèses des chercheurs, les travaux des professeurs et des
équipes de
recherche qui font les frais de la situation. Alors que les
presses universitaires
pouvaient compter vendre 700 exemplaires d'une publication
spécialisée, il y a une ou deux décennies,
c'est aujourd'hui
un maximum de 300, ce qui n'est évidemment plus rentable et
met en cause
l'avenir de ces publications.
La solution se trouvera certainement dans la
publication
électronique. Mais cela n'est pas assuré. Il en
veut pour preuve
le projet Gutenberg qu'il a contribué à mettre en
place, grâce
à une subvention très importante de la fondation
Mellon. Il
s'agissait de publier électroniquement les meilleures
thèses de
doctorat choisies par l'American Historical Association.
Malheureusement,
après sept ans, le projet ne faisait pas encore ses frais et
est devenu un
petit dinosaure des Presses de l'Université de Columbia.
[Il est difficile, je crois, de voir comment
Robert Darnton
passe ensuite à sa seconde série de
jérémiades, ni
même d'en comprendre exactement l'objet, mais son titre est
bien le suivant,
la pérennité (durability)].
2. La pérennité des
bibliothèques
(universitaires)
C'est en 2007 que Robert Darnton est devenu
directeur des
bibliothèques de l'Université de Harvard. Dès
ce moment, il
a bien vu que nous étions devant un désastre
appréhendé
dont il nous fait part, car il est inquiet pour l'avenir des
bibliothèques,
leurs possibilités de développement.
Il revient sur ce point aux achats des
périodiques.
Il s'en prend à la politique des achats de revues en
séries :
les presses universitaires vendent maintenant leurs abonnements en
paquet, à
des prix supposés intéressants; sauf que, si une
bibliothèque
décide de faire le tri, pour ne retenir que ce qui lui
convient, au bout du
compte, le prix sera le même (ici, c'est la comparaison du
ballon dont vous
pressurez un bout, alors que l'air n'en sort pas, mais se retrouve
à l'autre
bout). À son avis, il le dit encore une fois, les
professeurs et les
chercheurs des universités ignorent tout de cela, alors
qu'ils se plaignent
de manière absolue contre les
« compressions » des
bibliothèques qui sont pourtant inévitables. [Il
parle ici des
gérants des bibliothèques, et non des politiques
universitaires ou
gouvernementales, c'est assez évident — mais durant
plusieurs minutes,
son exposé n'est pas clair, puis passe abruptement au point
suivant].
L'avenir sera donc dans les publications
électroniques
et gratuites sur l'internet, précisément parce
qu'elles seront
efficaces, plus faciles à produire, moins coûteuses et
plus lues,
puisque l'accès en est plus facile. Sans compter qu'avec la
machine
Expresso (l'imprimante de livres), c'est là que se trouve
l'avenir des
presses universitaires. C'est en février 2008 que le
dépôt
« obligatoire », d'abord à la FAS
d'Harward, a
été instauré par une coalition
d'universités, sauf que
les professeurs et chercheurs n'étaient pas forcés de
déposer
leurs publications à cet accès ouvert, de sorte que
le projet
d'avenir est toujours inefficace.
Mais le problème est ailleurs et c'est
Google.
3. Le problème Google
[Tandis que les deux premières parties
de la
conférence forment manifestement un tout,
c'est-à-dire en fait une
suite de commentaires décousus qui conduisent des
coûts des
périodiques aux publications électroniques,
voilà
qu'apparaît abruptement, et sans raison aucune, le
« sujet » ou plutôt l'objet de la
conférence, dont
il sera pourtant extrêmement difficile de trouver la moindre
ligne directrice
— et ce n'est évidemment pas parce que je ne connais
pas le sujet, que
Robert Darnton répète depuis des
années.] (1)
Google, comme chacun sait, est une entreprise
privée (2a) qui a un plan
d'affaire
(Robert Darnton avait préparé ce point : la
fondation Mellon lui
aurait demandé s'il avait un « plan
d'affaire » pour son
projet Gutenberg...). Et son plan d'affaire est simple, faire de
l'argent,
beaucoup d'argent, le plus possible, comme c'est le cas de toutes
les entreprises
privées.
Le projet de règlement entre Google et
ses opposants
devant la cour de New York, est évidemment, avec plusieurs
centaines de
pages, très complexe, obscur et difficile à
comprendre, mais pour
lui, ce qu'il faut surtout en retenir, c'est que les
bibliothèques en sont
exclues (3a) : elles ne
sont pas « parties
prenantes » à ce projet de règlement. Et
ce qui est
certain, c'est que
les livres orphelins seront dorénavant, en vertu de ce
règlement, la
propriété exclusive de Google (3b).
Le prix qui sera exigé pour la
consultation de ces
livres par Google (3c), cela
finira par
être un prix exorbitant. C'est, explique Robert Darnton, le
principe du prix
de la cocaïne (1) : vous
l'avez au
début pour presque rien, à petites doses, mais
dès que vous
êtes accro (addict, googolomane), l'exploiteur, bien
entendu, augmente
les prix.
Ah ! c'est là le fait de tous les
monopoles (2b). La compagnie Google
n'apprécie pas qu'on
dise qu'elle constitue un monopole. Non, en effet, ce n'est pas du
tout un
monopole. C'est simplement une compagnie
hégémonique, unique, qui
contrôle complètement le marché, sans aucun
concurrent de
taille, qui décide seule de ses politiques, qui..., mais ce
n'est pas un
monopole, pas du tout [rires de la salle]. Robert Darnton ne veut
pas mettre en doute la bonne foie des dirigeants actuels de Google,
mais qu'en sera-t-il de ceux qui dirigeront l'entreprise dans dix
ou quinze ans ? Il n'y a pas de raison de « confier
nos livres », dit-il, à un pouvoir monopolistique.
Avec Google, l'avenir n'est pas garanti.
D'ailleurs, est-ce une bonne chose que cette
question [du
monopole] de
Google soit traitée par les tribunaux, comme un simple
problème
juridique, alors qu'il s'agit évidemment d'une question
primordiale
où une compagnie privée veut s'accaparer les
« livres
orphelins » ? Non. Il lance un appel pour changer
le
système. Il faut absolument échapper au plan
d'affaire d'une
compagnie privée. Il faut plutôt militer pour une
bibliothèque
universelle mondiale, ce qui devrait commencer par une National
Digital Library,
aux États-Unis, sous la responsabilité de la
bibliothèque du
Congrès, et ce serait à la gloire de Google d'y
contribuer et d'y
participer généreusement ! [À l'occasion
d'une des cinq
questions du public qui suit son exposé, Robert Darnton
revient sur la
question : il faut empêcher Google de s'approprier les
« livres orphelins » en mettant en place une
vaste coalition
de bibliothèques] (5).
Et c'est alors que le Chevalier de la
Légion d'honneur
donne le bon exemple de la politique annoncée par le
président
Nicolas Sarkozy, qui veut scanner tout le patrimoine
français [sic ! en trois ans ?!]. Là
est l'avenir. Mais (6),
malheureusement, il doit
terminer son exposé par une note négative : la
France, comme
l'Allemagne, la Finlande, le Japon ou l'Australie, sont tout
petits,
contrairement
aux États-Unis, où il n'est peut-être pas
possible d'envisager
des politiques aussi peu coûteuses que celle du
président Sarkozy.
Et de dire rapidement quelle est la fourchette des coûts pour
scanner chaque
page d'un livre (entre 10 cents et dix dollars). Fin en queue de
poisson, sans autre
conclusion.
[La conférence est finie.
Applaudissements. Cinq
questions, dont aucune n'est critique, aucune ne porte sur la
bibliothèque
électronique de Google, ce qui n'empêche pas le
conférencier
d'y revenir brièvement, comme on l'a vu. Tout au plus y
est-il question du
fameux problème des
« méta-données »
bibliothécaires, qui se perdent dans l'internet.
Applaudissements d'un
auditoire important qui a presque complètement rempli
l'auditorium du
Pavillon M. B. Building].
À Montréal, en ce printemps
2010, nous assistons
à une très évidente entreprise de
désinformation, il
faut le répéter.
Quel était donc l'intérêt
d'engager le
champion dans un beau tour de piste et de nous présenter
cela comme un
tournois ? Entendre Robert Darnton se répéter
devant un
parterre attendri, il est vrai, cela avait quelque chose de
théâtral.
Et on ne se lasse jamais des classiques. Rien de neuf dans
l'exposé de
Robert Darnton, mais la répétition est bien celle de
l'exercice
théâtral.
Sans compter l'esquive. Pas une seule fois il
n'abordera la
seule question importante sur son sujet (le programme Recherche de
livres de
Google), à savoir la manière avec laquelle la
question s'est
posée à la bibliothèque de Harvard, avant et
après
qu'il n'en prenne la direction. Avant, il s'agissait de l'une des
quatre
bibliothèques fondatrices du projet, après, depuis,
le
Chevalier de la
Légion d'honneur y fait résonner le discours de la
République
contre Google. Alors, quelques questions se posent, me
semble-t-il.
Les voici
numérotées.
(1) En effet, tout cela est d'abord une
question de
rhétorique. Comme c'est son habitude, jamais Robert Darnton
n'aborde
franchement son sujet, c'est-à-dire son opposition
viscérale au
projet de bibliothèque électronique de Google. Ce
serait surprenant
si l'on ne le voyait venir de si loin. Tout le monde sait
où il en viendra,
après avoir préparé le sujet. Inutile,
donc, de
s'occuper de ses deux premières séries de
« jérémiades ». Ce sont des
jérémiades.
Il y a là beaucoup d'hypocrisie, bien
sûr, mais
encore plus de mauvaise foi. Confondre des
« jérémiades », qui doivent
normalement
être des plaintes fondées, avec des accusations sans
fondement, c'est
un renversement complet de la situation. Se plaindre et porter
plainte, c'est bien
différent. Puisqu'il s'agit d'attaquer Google et son projet
de
bibliothèque électronique, on doit le faire
franchement. Ce n'est
pas le temps de ressasser les plaintes tout à fait
légitimes et
archi-connues des
bibliothécaires depuis des décennies, au sujet des
coûts des
périodiques ou de la pérennité des
bibliothèques.
(2a) Google est une entreprise
privée qui a son
« plan d'affaire », un plan d'affaire secret,
puisqu'il s'agit
d'un monopole, dont l'objectif, forcément, est de faire le
plus de profit possible.
(2b) Google, qui n'aime pas qu'on le
dise, est un
monopole de facto.
Google = entreprise privée +
« plan
d'affaire » + monopole. Tout ce qu'il y a d'exact dans
cette cascade de
trois propositions, c'est la première. Google est une
entreprise
privée. Rien ne peut découler de ce fait. Aucune
accusation, en
tout cas. Si l'entreprise se livre à des activités
illicites, Robert
Darnton doit évidemment les dénoncer, mais il doit
nous dire d'abord
sur quoi et au nom de quoi il porte ses accusations. Autrement,
c'est simple, et
on ne le répétera jamais assez : de quoi je me
mêle ! Ce ne serait pas une belle devise
états-unienne, par
hasard ? « Occupe-toi de tes
affaires ».
Microsoft a été plusieurs fois
condamné
par la justice, on le sait, pour la collusion entre son
système
d'exploitation Windows et son navigateur Internet Explorer.
C'était une
situation de monopole. Google, à ce que je sache, n'a
jamais
été dans cette situation. Par ailleurs, sa
bibliothèque
électronique Recherche de livres a de très nombreux
concurrents et
si elle est actuellement la plus importante au monde, et de loin,
rien ne garantit
qu'elle le restera. Ce n'est pas un monopole. Affirmer qu'elle
est un monopole ou un
quasi-monopole parce qu'elle est la plus grosse, c'est
évidemment employer
le mot dans un sens populaire et en faire à la fois un
défaut et un
danger. On ne saurait diaboliser une compagnie parce qu'elle
réussit.
(3) Il faut dire que l'exposé ne
développe
pas une argumentation, mais accumule des affirmations, dont les
plus importantes
et les plus percutantes sont des faussetés. En voici
trois.
(3a) Robert
Darnton affirme que
les bibliothèques ne sont pas « parties
prenantes » au projet
d'entente de Google
avec la poursuite dans le règlement proposé à
la cours de New
York. Ce n'est pas vrai. Les bibliothèques ne sont
engagées ni dans
la poursuite, ni dans la défense judiciaire, à la
cours et ne sont donc pas parties prenantes au procès. Mais
ce
n'est pas ce que dit et laisse entendre Robert Darnton, et qui est
totalement faux.
D'abord le projet d'entente a été mis en place avec
trois des quatre
bibliothèques fondatrices (c'est Robert Darnton qui a
soustrait sa
bibliothèque des fondatrice). Ensuite, de nombreux
chapitres de l'entente
concernent précisément les bibliothèques, qui
sont même
réparties en nombreuses catégories. Enfin, ce sont
les
bibliothèques universitaires fondatrices qui ont obtenu la
mise en place des
« Corpus de recherche ».
(3b) Robert
Darnton affirme que
les droits obtenus par la vente ou la consultation des livres
orphelins
appartiendront à Google. Ce n'est pas vrai. Dans le projet
d'entente
renouvelée, actuellement devant la cours de New York, c'est
même un
organisme de l'État qui gérerait ces revenus.
(3c) Robert
Darnton affirme que
c'est Google qui fixera les prix de vente et de consultation des
livres de sa
bibliothèque électronique. Ce n'est pas vrai.
D'autant que de ces
prix, gérés par le projet d'entente, seraient
établis de
diverses façons, en vertu de leur statuts (libres de droit,
sous droit ou
orphelins, types de consultation, abonnements, etc.). Dans le cas
des livres
orphelins, c'est le Registre qui établira le prix de vente
et
contrôlera tous les revenus. Tous les revenus.
(4) Il faut dire que la mauvaise foi de
Robert Darnton
frise la malhonnêteté. On n'a pas le droit de se
livrer à des
procès d'intention comme il le fait en présupposant
que les
redevances de Google sur la consultation de ses livres augmentera
en mode
cocaïne. Depuis des décennies Google fait ses profits
avec la vente
de la publicité et si cela change avec le projet d'entente,
c'est
précisément parce que les associations des auteurs et
des
éditeurs états-uniens forcent Google et ses
bibliothèques
participantes à procéder ainsi : c'était
d'ailleurs le
seul objet du recours collectif contre la compagnie.
(5) Après le dénigrement,
l'utopie. Et
c'est ici que transparaît le discours de la République
contre Google.
Pour toutes les mauvaises raisons exposées jusqu'ici, Robert
Darnton,
s'appuyant sur la France du président Sarkozy, propose de
contrer le
« monopole » de Google par un consortium
formé d'une
coalition des grandes bibliothèques à travers le
monde. Bref, il
voudrait maintenant étendre à l'univers son projet de
National
Digital Library.
En cinq points, je viens de résumer
sommairement
l'analyse critique que j'ai développée plus haut,
puisque Robert
Darnton se répète, dans un nouveau format
rhétorique. Or, il
y a quelque chose de pathétique à entendre cet
exposé, parce
qu'il est maintenant explicitement utopique. Robert Darnton sait
qu'il
prêche dans le désert, que l'idée d'une
bibliothèque
électronique nationale géré par le
Congrès ne verra
jamais le jour. Il n'est pas idiot. Alors, pour faire bonne
figure, il en remet,
proposant maintenant une bibliothèque... mondiale ! Et
il le fait
à la faveur du seul point original de son exposé, et
pour cause, le
programme qu'a présenté entre-temps Nicolas Sarkozy.
Alors,
sixième et dernier point.
(6) « L'avenir est là
[l'utopie]. Mais
[la réalité]... ». La France et sa
Bibliothèque
nationale ont fait la preuve que le travail de Google, dans le
domaine des
bibliothèques électroniques, était pour
l'instant impossible
à battre. D'ailleurs, déjà en juillet 2008,
la
Bibliothèque municipale de Lyon, sur appel d'offres, avait
dû
s'incliner devant la seule proposition, avec laquelle personne ne
pouvait
rivaliser, d'intégrer son fonds, le plus considérable
de France
après celui de la BNF, au projet Recherche de Livres (le
contrat a
été rendu public par la ville de Lyon le 26 novembre
2009 et se
consulte notamment sur culture.france2.fr).
Plus encore, avec le changement de garde
à la
tête du ministère de la Culture et des Communications
et à la
présidence de la Bibliothèque nationale, celle-ci a
entrepris
l'année suivante de très sérieuses
négociations avec
Google. Dès que cela s'est su, les « enfants de
la
patrie », qui avaient été
désinformés à
ce sujet par Jean-Noël Jeanneney depuis des années, ont
évidemment lancé leurs cris cocardiers les plus
aigus, ce qui a
produit le grand cocorico du président français,
alors à
l'étranger, qui n'a pas étudié la chanson
très
longtemps avant d'en entonner l'air. S'en est suivi le recul
stratégique
de Frédéric Mietterrand, le ministre de la Culture,
de sorte que
Bruno Racine, le président de la BNF, a immédiatement
cessé
de négocier avec Google, d'autant que le renouvellement de
son poste
était à ce moment à l'étude à
l'Élysée (il aura été renouvelé
pour trois ans en mars 2010). Bref, on oublie la collaboration de
la BNF
avec Google,
le temps de calmer le jeu.
C'est ensuite une autre affaire, celle
à laquelle
Robert Darnton fait vaguement allusion ici : le
« Grand
Emprunt ». En décembre 2009, le gouvernement de
Nicolas Sarkozy
a annoncé un investissement global de 35 milliards d'euros
dans l'univers
culturel national; c'est considérable, mais cela sera
partagé entre
des dizaines, quelques centaines d'institutions; au bout des
soustractions, 750
millions d'euros seront consacrés à scanner le
« patrimoine » artistique,
cinématographique et, disons, bibliographique; mais on ne
sait toujours pas
quelle pourrait être la part des bibliothèques
(vraisemblablement 160
millions) et en particulier celle de la Bibliothèque
nationale, mais ce
qu'on sait déjà, c'est que ce sera bien peu par
rapport à ce
que saurait investir Google. Et c'est là-dessus que Robert
Darnton, sans
donner aucune de ces précisions, veut transformer son utopie
d'une National
Digital Library états-unienne en une chimère
déjà bien
connue, une bibliothèque universelle mondiale. Et le plus
extraordinaire,
c'est qu'il le dit explicitement à la fin de son
exposé : c'est un
rêve qu'on ne saurait opposer à la
réalité de la
bibliothèque électronique de Google.
Or, au moment où Robert Darnton livre
sa
conférence en évoquant d'un seul nom propre ce qui
serait la
« politique » du président Sarkozy, le
débat sur
la participation de Google à l'informatisation des fonds de
la BNF a
déjà beaucoup évolué. Le rapport du
comité du
Sénat, la commission Marc Tessier (chargé
d'étudier la
situation des bibliothèques et en particulier de la BNF sur
ce point) a
proposé une collaboration avec le programme Recherche de
livres de Google,
en expliquant raisonnablement la situation : au rythme
actuel, il faudrait
375 ans pour scanner les fonds de la BNF ! tandis que Google
le ferait en
quelques années. Tout cela est un simple retour au bon
sens, en ce qui
concerne la BNF, avec son nouveau président, Bruno Racine,
et le nouveau
ministre de la Culture et des Communications,
Frédéric Mietterrand,
qui envisagent clairement et sereinement un éventuel accord
avec le
programme de Google. Bruno Racine a publié
Google et le
nouveau
monde en février 2010 et les négociations
entre
Google et la BNF
vont être reprises, cela ne fait plus aucun doute. —
[Sources :
Olivier Pascal-Moussellard, Télérama no 3125,
8-10 déc.
2009; One.com, 30 mars 2010; LesInrocks, 16 avril 2010; etc. Tout
cela a
été présenté dans la presse
française et en
bonne place en 2009-2010].
Bref, Robert Darnton a tout faux et c'est un
fait
incontestable. En 2010, ce n'est pas Google ni la justice des
États-Unis
qui constituent une menace pour les lecteurs, les chercheurs et les
universitaires,
du moins en domaine francophone, c'est le groupe de La
Martinière et la
justice française.
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7 juillet 2010
3. New York - Montréal : la complainte
fellatrice parisienne
Voici comment le baroud d'honneur de la
République, lancé à New York et
réimprimé à Paris, se retrouvera dans une
chronique du Devoir à Montréal. L'affaire est
autobiographique, de sorte que je suis bien placé pour
l'expliquer. C'est le 28 février 2009 que j'ai
adressé aux journalistes du Devoir un message
collectif pour les informer de la mise en place de mon fichier
critique sur la condamnation de leur journal devant le Conseil de
presse du Québec pour avoir publié le texte injurieux
de la direction de la Bibliothèque nationale et pour m'avoir
refusé le droit de réplique. Le journal avait fait
appel et a encore perdu. Christian Rioux a reçu ce message
du 28 février, avec une copie jointe de mon analyse critique
à la suite du blâme du Conseil; il a reçu aussi
l'adresse du présent fichier où l'information ne
manque pas sur le projet Recherche de livres. Il connaissait donc
ma bibliographie critique.
Suit pourtant sa chronique du 6 mars, la
semaine suivante : « Big Google » (le
Devoir, p. A3). Jusqu'à preuve du contraire, il
s'agit d'une réplique hypocrite, incompétente et fort
amusante à mon envoi au journal de Montréal
(« journal de Montréal », plaisanterie
bien sentie, à Montréal).
Son texte commence par la
réécriture de la présentation publicitaire de
la bibliothèque de l'Université d'Harvard, avec son
exemplaire de la bible de Gutenberg. Puis c'est la
présentation de la personne et de l'article du
« patron » des bibliothèques d'Harvard
au Monde diplomatique ( article « qui ne cesse
d'alimenter le débat en France »). Robert
Darnton : il s'agit du grand spécialiste du
siècle des Lumières qui aurait fait la promotion des
publications sur l'internet depuis pas moins de quinze ans
(ah ! oui ? où ça ?) et qui aurait vu
très favorablement le projet de Google. Suit un
résumé fort sommaire du projet Recherche de livres et
du projet d'entente propre à justifier le
« désenchantement » de Robert Darnton,
soit le monopole sans précédent que Google est
sur le point d'acquérir. Entre autres niaiseries amusantes
que Christian Rioux prétend tirer de l'enseignement de
Darnton, on peut lire : « Qui sait si, demain, des
annonces de MacDo ne surgiront pas entre deux pages de Michel
Tremblay ou deux poèmes de Gaston Miron ? Et le prix
d'accès pourrait augmenter. Darnton cite l'exemple de ces
revues scientifiques... » etc. On connaît la
chanson. Niaiserie amusante ? Mais parce que le pauvre fait
la preuve en une phrase qu'il ne connaît pas encore le
programme Recherche de livres de Google. Il ne sait manifestement
pas comment s'y présente la publicité. Je pense que
je n'aurai pas été le seul mort de rire à voir
un journaliste du Devoir qui jamais encore n'a mis sa souris
dans la bibliothèque électronique Recherche de
livres, une banque d'un million de livres du domaine public depuis
quelque cinq ans. Christian Rioux n'est pas un chercheur, c'est
évident. Dès lors, qu'il garde une vague nostalgie
pour la Widener Library n'est pas trop surprenant — s'il n'y
a jamais travaillé, car son petit exposé pris sur
l'internet est plutôt de l'ordre du passage touristique.
C'est comique. Il ferait bien d'y retourner, pour un petit
ressourcement.
Cela dit, lorsqu'on écrit une
chronique de seconde main dans le seul but de plaire à la
rédaction ou aux dirigeants de son journal, il est assez
rare qu'on écrive une analyse pertinente et que ses lecteurs
le moindrement informés ne soient pas amusés.
J'ai tenté, très
sérieusement, de prendre contact avec l'hilarant journaliste
qui donne son adresse électronique au pied de sa chronique
:
crioux@ledevoir.com,
mais il n'a répondu ni à mes questions ni à
mes objections. Voilà un journaliste qui refuse de
répondre à vos questions, un chroniqueur qui ne tient
pas compte de vos informations — et cela se trouve au
Devoir.
C'est tout à fait naturel, lorsqu'il
s'agit de flatterie : au diable la rigueur intellectuelle !
C'est le sens tout virtuel de la fellation et il est fort comique
de la voir pratiquer en public. Je ne doute pas que cette
répercussion montréalaise du discours de la
République, elle-même retournée de New York
à Paris, aura conforté et réjoui les
« patrons » de Christian Rioux autant qu'il
l'aura souhaité. Et c'est sans compter la flagornerie
suivante, parue moins de dix jours plus tard dans la page des
opinions du journal.
4. Le chant de la fourmi (lamentations
montréalaises)
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La fourmi, c'est son défaut, ayant mal peiné
Tout l'été,
Se trouva fort dépourvue
Quand Google fut venue.
« Que faisiez-vous quand je
scannais ? »
Demanda Larry à Guylaine
(Cette emmerdeuse qui n'est pas prêteuse).
J'éditorialisais pour vous déplaire.
— Un éditorial ? chantez-m'en l'air ! »
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On trouvera ci-dessous, commentées, les
lamentations de la présidente de la Corporation des
bibliothécaires professionnels du Québec, Guylaine
Beaudry. Il s'agit de son éditorial au bulletin CorpoClip
de février 2009 (bulletin no 178, février-mars
2009, « Éditorial », p. 1-3). On
le trouvera à l'adresse suivante, d'où je le
reproduis :
http://www.cbpq.qc.ca/publications/CorpoClip/CC178.pdf
De la part de la présidente de la
Corporation des bibliothécaires (CBPQ), c'est un appui
inconditionnel, obséquieux et indécent à sa
vis-à-vis, la présidente de la Bibliothèque
nationale du Québec (dite BANQ). La preuve en est que son
éditorial a été reproduit en page
« Idées » (c'est la page des opinions)
du Devoir, le 18 mars 2009, soit moins de trois semaines
après ma mise au point à la direction et aux
journalistes à la suite du jugement du Conseil de presse en
ma faveur. La présidente de la CBPQ est également
présentée par le journal comme Directrice du Centre
d'édition numérique de l'Université de
Montréal et du consortium Érudit. Ciel ! mais
c'est une collègue !
À ma grande surprise, ma
collègue de l'Université de Montréal a
refusé de répondre à mes questions. Par
conséquent, je ne sais pas encore si c'est elle qui a
proposé son éditorial au journal ou si la proposition
ne serait pas venue de la Bibliothèque et des Archives
Nationales du Québec. Pourquoi pas ?
L'hypothèse m'amuse beaucoup. Puisque Guylaine Beaudry
refuse de me répondre, au sujet d'une intervention publique,
elle doit avoir quelque chose à cacher. — Je ne sais
pas non plus si elle connaissait ou ignorait mes exposés
à ce sujet. Ma bibliographie critique, en particulier,
aurait pu lui inspirer une certaine retenue dans ses très
plaisantes lamentations.
Alors voici le document, commenté mot
à mot. Car il me semble qu'on a le droit de s'amuser.
Document
Éditorial du Bulletin Corpo Clip
no 178, février à avril 2009
Google, les bibliothèques
et la revanche de la cigale sur la fourmi
Guylaine Beaudry
Présidente de la Corporation des bibliothécaires du
Québec
Directrice du Centre d'édition numérique de
l'Université de
Montréal
Directrice du Consortium Érudit
Le numérique entraîne la
redéfinition de pans entiers des rôles et des
fonctions des acteurs de la chaîne documentaire. Nous prenons
part à un véritable jeu de chaises musicales dont
l'enjeu est de faire entrer nos professions et nos institutions
dans le monde numérique. À défaut, des Joueurs
sont susceptibles de disparaître. De nouveaux protagonistes
entrent dans la danse, ravissant subrepticement des places. Ainsi,
éditeurs, diffuseurs, libraires, distributeurs et
bibliothécaires sont mis au défi (1).
Dès son arrivée en 1998, Google
est l'outil de recherche qui s'est imposé de façon
massive par sa facilité d'utilisation et la relative
pertinence des résultats de recherche obtenus. Depuis
quelques années, une partie de la stratégie
d'affaires de cette entreprise est orientée vers la
constitution de fonds (*). L'empressement et
les ressources considérables (a)
qu'elle consacre à constituer des fonds (*) confirment, s'il fallait s'en convaincre, que
l'enjeu des prochaines années est le contrôle «
matériel » de contenus de qualité par,
notamment, la numérisation des patrimoines
éditoriaux (2), tant culturels que
scientifiques.
Au début de son programme Recherche
de Livres, Google, par sa courte histoire et ses
missions (b), n'avait pas un seul livre
à mettre en ligne. D'où proviennent les livres que
Google numérise, indexe et diffuse par sa plateforme ?
Principalement de deux sources : des grandes bibliothèques
publiques et universitaires ainsi que des éditeurs.
Plusieurs bibliothèques participent au projet Google,
notamment Stanford University, University of Michigan, New York
Public Library, Oxford University, Bayerische Staatsbibiiothek et
la Bibliothèque municipale de Lyon (3).
Les fonds confiés à Google ne
lui appartiennent pas (4), malgré
qu'ils soient numérisés gratuitement par ses soins et
déposés dans ses infrastructures informatiques
auxquelles les détenteurs des droits n'ont évidemment
pas accès (5). Par ailleurs, Google en
ferme l'accès aux autres moteurs (6).
Autrement dit, un livre numérisé par Google ne pourra
être repérable que par l'outil de recherche
Google (7).
La capitalisation boursière de Google,
soit 155 milliards de dollars, vaut à elle seule presque
autant que Yahoo! (38,5 milliards), eBay (45,1 milliards) et Apple
(73,7 milliards) réunis. Son chiffre d'affaires en 2006 a
été de 10,6 milliards (+ 72% par rapport à
2005). Un empire colossal. En 2005, l'Association of American
Publishers et Authors Guild ont déposé des
requêtes contre Google sous le motif que ce dernier, en
numérisant entièrement les livres (8) pour les indexer en texte intégral, viole
le droit de l'auteur et de l'éditeur en le faisant sans sa
permission. Les représentants des auteurs et des
éditeurs demandaient à la cour de se prononcer sur le
fair use (9) quand il s'agit de
numérisation.
Le 28 octobre 2008, une entente hors cour est
intervenue entre les parties. Alors que la poursuite contre Google
portait sur la nature du concept de fair use dans le monde
numérique, cette entente (c) ne
répond pas à cette question (10) et établit plutôt les conditions
de commercialisation du fonds constitué par Google. Les
représentants des auteurs et des éditeurs ont obtenu
de Google le paiement d'une somme de 45 millions $US à
distribuer entre les détenteurs de droit pour tous les
livres numérisés le 5 janvier 2009 ou avant. La
distribution de cette somme ainsi que 63 % des revenus
à venir seront assurés parle Book Rights
Registry, une agence de paiement de redevances à
créer grâce à une contribution de Google de
34,5 millions $US. Voilà pour les auteurs et les
éditeurs (11).
Google reçoit néanmoins une part
importante du gâteau puisque cette entente marque le
début de l'exploitation du fonds qu'il a constitué.
Eh oui ! l'accès aux livres numérisés
sera maintenant tarifé (12); Google
devient un agrégateur général (*). Dans cette entente, on voit d'ailleurs changer
le nom du programme « Google Recherche de
Livres » pour « Google Library
Project » (13). Les individus
pourront payer pour avoir accès à un ou des livres du
fonds. Les bibliothèques achèteront des abonnements
institutionnels pour donner accès à leurs usagers.
Il y a tout de même bien quelques
largesses envers les bibliothèques, tout de
même ! D'abord, des « terminaux » dans les
bibliothèques universitaires et publiques
américaines (d) donneront accès
au fonds Google Library — comme si ce mode de
diffusion correspondait aux besoins des bibliothèques et de
leurs usagers ! (14). Aussi, les
bibliothèques qui collaborent avec Google reçoivent
les fichiers des livres numérisés pour lesquels
néanmoins une série de contraintes plutôt
lourdes sont imposées (15),
notamment, la restriction de la diffusion au réseau
institutionnel, sans indexation possible par d'autres outils de
recherche (16).
Résumons :
1- Les bibliothèques prêtent gracieusement (17) à Google leurs collections pour qu'elles
soient numérisées, selon une entente non exclusive;
2- Les fichiers appartiennent à Google (4) mais peuvent être utilisés de
façon plutôt contraignante (15)
par les bibliothèques ,
3- Google vend l'accès à ces collections aux
individus et aux bibliothèques;
4- Google, les auteurs et les éditeurs se partagent les
recettes des ventes (18);
Qu'est-ce qu'on peut en tirer ? (19).
Une considération générale avant de passer au
point de vue des bibliothèques.
Alors que l'édition, la fabrication et
la vente d'un ouvrage imprimé impliquent
généralement (20) de
détenir les droits de l'oeuvre, dans l'univers
numérique, ce sont plutôt la maîtrise du
savoir-faire technologique et le contrôle des fichiers et de
plateformes d'édition numérique qui ont une valeur
commerciale. L'exemple de Google démontre bien que l'enjeu
n'est pas de détenir les droits d'une publication comme d'en
posséder les fichiers, matériellement (21).
Mais qu'en est-il des
bibliothèques ? D'aucuns pourraient croire que les
bibliothèques représentées lors des
négociations (22) n'ont pas
joué leurs cartes en pensant au coup suivant. Certes, les
livres des bibliothèques signataires seront
numérisés (23). Certaines
pourront, en monnaie d'échange, avoir accès à
Google Library. Il faut aussi considérer que, bien que les
ententes avec Google soient non exclusives et n'impliquent pas de
déboursés par les bibliothèques, il y a fort
à parier que les livres déjà
numérisés ne le seront pas de nouveau de sitôt.
D'abord parce qu'il y a un coût réel à signer
avec Google par les activités de négociations, de
choix et de préparation des collections, de suivi du projet,
etc. Ensuite, les bibliothèques risquent de ne pas refaire
l'exercice, aux mêmes conditions, pour d'autres joueurs. En
fait, cette non exclusivité est théorique. Google a
l'avantage du terrain vierge (24).
Les bibliothèques signataires
permettent à Google de constituer un fonds mondial
multilingue qui lui donne une position sans précédent
dans l'histoire du livre et de l'édition (25). Ces collections sont développées
par des bibliothécaires depuis des générations
et dans plusieurs cas, grâce à des investissements
publics. Les bibliothèques sont les institutions que les
sociétés ont créées pour la mise en
commun de documents, pour le bénéfice d'une
communauté. Même si elles ne disposent pas de
ressources financières à la mesure de Google, tes
bibliothèques bénéficient d'un capital
symbolique (*) considérable, notamment
en raison de la richesse de leurs collections. En donnant à
numériser leurs collections, c'est comme si les
bibliothèques avaient converti leur capital symbolique en
capital financier (26). Seulement, c'est un
empire constitué en dix ans (*) qui le
récupère en constituant son fonds de commerce, sans
que nous puissions avoir quelque assurance sur
l'accessibilité de ce bien collectif dans 50, 100 ou 200
ans (27). De plus, les collections des
bibliothèques seront pour la première fois vendues.
Les bibliothécaires ont un engagement moral à ne pas
faire n'importe quoi (28) avec les
collections qu'elles ont constituées depuis des
générations. Ne nous méprenons pas. Il s'agit
bien de la privatisation d'un bien public. Et si le rôle des
bibliothécaires du début du XXIe siècle
était plutôt celui-ci : porter vers le
numérique les produits de la culture du manuscrit et de
l'imprimé, et les rendre disponibles selon les principes
d'accès légués par la génération
précédente ? (29).
En procédant ainsi, les
bibliothèques peuvent donner l'impression qu'elles agissent
à courte vue et en fonction des communautés qu'elles
ont à desservir directement. Puisque les fichiers peuvent
éventuellement être mis à disposition de leurs
clients ou usagers (*), leurs missions sont
sauves. Or, il faut prendre en compte que les collections
numérisées sont constituées de livres
provenant de tous pays (30). Il y a
là un aspect à tout le moins moral à
considérer. Un livre représente davantage que sa
matérialité puisqu'il s'inscrit dans le patrimoine et
la production éditoriale d'une société. Mais
plus encore, si on reconnaît que le numérique permet
le plus grand accès à la connaissance, en permettant
à Google de constituer ce fonds et de le diffuser, ce sont
les fonctions de diffusion et de préservation des
collections qui échappent aux bibliothèques (31). Là est pourtant notre raison
d'être depuis Alexandrie. Finalement, cette
responsabilité cédée aux outils de recherche
par quelques bibliothèques (3) peut
avoir des effets pernicieux. En effet, certains États
pourraient ne pas se sentir concernés par la
responsabilité des institutions documentaires à
numériser pour le bien commun puisqu'une entreprise
américaine s'en charge (32). Il y a
heureusement plusieurs initiatives de numérisation
(Europeana, Open Content Alliance, etc.) qui, sans disposer de la
renommée et des capitaux de Google, lui font contrepoids en
assumant les responsabilités des bibliothèques de
l'ère numérique (*) (33).
Les trésors documentaires des
collections des bibliothèques constituent une
véritable caverne d'Ali Baba dont seul Google peut
déclamer le sésame pour en exploiter le capital
économique. Il faut bien reconnaître la puissance d'un
géant de seulement quelques années qui constitue un
fonds à dimension titanesque, sans payer un sou pour
l'obtention de son fonds de commerce (17).
C'est comme si la fourmi venait de se faire ravir (34) ses réserves par la cigale. Devant telle
situation, on peut avoir envie de voir se rallier les
bibliothécaires et de lancer : Bibliothèques du monde
entier, unissez-vous !
La présidente,
Guylaine Beaudry
Notes de l'auteure
(a) Google ne dévoile pas le montant de ses
investissements dans son programme de numérisation. Certains
ont spéculé qu'ils atteindraient 200 millions $
pour numériser 15 millions de livres d'ici 2015. Avec les 7
M de livres déjà numérisés à
environ 30 $ par livre, cette somme est outrepassée au
début 2009. Par ailleurs, la bibliothèque municipale
de Lyon a annoncé des investissements de la part de Google
de plus de 60 M d'euros pour la numérisation d'une partie de
son fonds.
(b) Il est utile de rappeler ici que Google a
été lancé en 1998 par Larry Page et Sergey
Brin qui se sont rencontrés à Stanford University en
1995 alors qu'ils étaient étudiants en informatique.
Ils ont travaillé ensemble à partir de janvier 1996
à élaborer un outil de recherche appelé
BackRub, nommé en référence à
son algorithme qui attribue un rang aux documents indexés en
fonction des liens (back links) qui pointent d'autres pages
du web.
http://www.google.com/corporate/history.html.
(c) Toujours en attente de l'approbation d'un juge
de la cour américaine [sic].
(d) Pour le moment, les conditions de diffusion
pour les pays autres que les États-Unis ne sont pas
déterminées [sic].
Analyse critique
(*) Guylaine Beaudry ne produit ni sources ni
références à l'appui de son analyse. Je pense
toutefois que son vocabulaire, souvent très abrupt, devrait
nous permettre de remonter à ses sources d'information et
d'inspiration. Voyez les fragments que je marque de
l'astérisque : « fonds » (pour
contenus, informations ou données);
« agrégateur général » (si
vous avez la moindre idée de ce que cela peut signifier,
vous comprendrez aussitôt que tel n'est évidemment pas
le cas !); le « capital symbolique »
(Darnton cite Bourdieu dans son article du 12 février); en
ce qui concerne l'Empire de Google constitué en dix ans,
cela se trouve textuellement dans l'article de Darnton en 2008;
les fichiers des bibliothèques « mis à
disposition de leurs clients ou usagers », c'est du
langage juridique. Enfin la phrase suivante, illisible pour qui ne
connaît pas le discours de la République contre
Google, ne s'invente pas : « Il y a heureusement
plusieurs initiatives de numérisation (Europeana, Open
Content Alliance, etc.) qui, sans disposer de la renommée et
des capitaux de Google, lui font contrepoids en assumant les
responsabilités des bibliothèques de l'ère
numérique ». En effet, s'il n'est pas un
spécialiste de ce discours, le lecteur de l'éditorial
ne peut avoir aucune idée ce que peuvent être les
« responsabilités des bibliothèques de
l'ère numérique ». La présidente
des BANQ qui connaît son Jeanneney par coeur pourrait vous le
dire.
(1) Le défi : Quand Google défie
l'Europe, par Jean-Noël Jeanneney. La présidente
de la CBPQ connaît ses classiques. À remarquer que
les auteurs et les lecteurs ne font pas partie de sa
« chaîne ».
(2) Pas clair : qu'est-ce donc que des
« patrimoines éditoriaux, tant culturels que
scientifiques » ? Il s'agit de livres (comme on le
lit au début de l'alinéa suivant) ? de contenus
des bibliothèques ?
(3) L'énumération est un peu courte
et surtout imprécise. Actuellement plus de quinze
prestigieuses bibliothèques sont liées au projet de
Google et on peut les répartir pour notre compte en quatre
catégories : les bibliothèques fondatrices, les
bibliothèques qui participent comme celles-là au
projet à part entière, celles qui limitent leur
participation aux ouvrages du domaine public, celles enfin qui
proposent des collections particulières de leur fonds. La
majorité d'entre elles sont des bibliothèques
universitaires. Le chapitre 7 de l'entente décrit les
types de bibliothèques liées au projet et explique
leur rôle, droits et privilèges. On en trouve la
liste à l'annexe G.
(4) Faux. Aucun fonds n'est confié à
Google. « ... ne lui appartiennent pas,
malgré que... ». Confus. On s'attend de la part
d'une bibliothécaire à un exposé
précis. « Infrastructures
informatiques ». Incompréhensible. Il s'agit en
fait des copies informatiques des ouvrages scannés. Il faut
se reporter aux contrats signés par la compagnie et chacune
des universités pour décrire les droits et les
devoirs des deux parties sur ces copies.
(5) Faux. Chaque bibliothèque
reçoit une copie de tous les
fichiers scannés dans ses fonds.
(6) Il me semble qu'après cinq ans, le
discours amusant de la République ne devrait plus comporter
de telles affirmations hilarantes, même pour notre plus grand
plaisir. J'explique tout de même, pour protester, sans
rire : n'est-il pas évident que Google scanne les
livres pour sa base de donnée Recherche de livres ? On
voudrait qu'Altavista, Yahoo! ou NetScape puissent tranquillement
y lancer des requêtes ? Ça va pas la
tête ? « Google en ferme l'accès aux
autres moteurs » ? Wowe les moteurs ! C'est
vraiment la rigolade.
(7) Autrement dit ? Voir la note (6) :
autrement dit, « Google en ferme l'accès aux
autres moteurs » ! J'espère qu'on ne
lira plus jamais cet argument dans les argumentaires de la
République contre Google.
(8) Imprécis de la part d'une
bibliothécaire, car il s'agit des seuls livres sous
copyright. C'est évident ? Alors Guylaine Beaudry n'a
pas compris ou n'explique pas que nous pouvons utiliser depuis
quelques années maintenant plus d'un million de livres qui
sont du domaine public grâce au programme de Recherche de
livres de Google.
(9) Faux. C'est le contraire, Google ayant
invoqué de la manière la plus raisonnable le
légitime droit de citation pour justifier les quelques
extraits qui paraissent à l'écran à la suite
d'une recherche sur une occurrence dans un livre sous droit. Le
plaidoyer de l'accusation porte, lui, sur le droit ou plutôt
l'interdiction de scanner des ouvrages sous copyright sans
permission.
(10) Nouvelle inversion logique : en droit, il y
avait de bonnes chances que Google gagne le procès qu'on lui
faisait; en pratique (juridique) il est préférable
d'empêcher la poursuite de bloquer vos activités; en
fait (judiciaire), l'entente déposée au tribunal
tente de régler, à la satisfaction des deux parties,
un problème créé par la législation sur
le copyright. Le public, les lecteurs seront heureux si
l'entreprise réussit. Les bibliothécaires et la
présidente de leur corporation, non ? Pourquoi
donc ?
(11) On pourrait croire tout cela objectif si l'on
ne savait que c'est l'entreprise Google qui payera non pas 34,5
— mais bien 125 millions de dollars (compensation aux ayants
droit, constitution du Registre et frais de cour et d'avocats).
Dès lors, la « part du gâteau »
dont il est question à l'alinéa suivant ne
paraît plus aussi scandaleusement sucrée.
(12) Raccourci. « L'accès aux
livres numérisés sera maintenant
tarifé ». C'est exact, mais il faut être
précis, car autrement on porte implicitement des
accusations, sans avoir l'air d'y toucher (et même si une
part de l'information vient ensuite, dans la phrase suivante, le
mal aura été fait). D'abord, il s'agit de
l'accès aux livres sous copyright; ensuite, il s'agit soit
de l'achat de livres ou de parties de livres sur la toile, soit
encore de redevances d'abonnements de bibliothèques, ventes
et redevances dont les revenus seront partagés selon les
proportions décrites à l'alinéa
précédent (ce qui n'est pas dit); enfin, il ne
s'agit pas d'une décision de la compagnie Google, mais bien
évidemment d'une concession de la compagnie à la
poursuite, c'est-à-dire aux représentants des
auteurs et des éditeurs. Justement, en plus, il faut
ajouter les produits de la publicité, partagés selon
les mêmes proportions. Or, ce sont ces seuls revenus
publicitaires qui devaient à l'origine financer Recherche de
livres et c'est la poursuite qui en a décidé
autrement — c'est-à-dire les marchands de copyrights.
Dès lors, on aimerait comprendre les raisons exactes de
l'indignation de la présidente, qui paraît bien se
tromper de cible.
(13) Ce n'est pas vrai. Le chapitre 3 du projet
d'entente s'intitule « Google Book Search — rights,
benefits and obligations ». Le programme
« Google Library Program » est un nouveau
processus d'acquisition des livres à être inclus dans
le « Google Book Search ». Les deux
désignations sont définies respectivement aux
articles 1.60 et 1.61 de l'entente (p. 8).
(14) Inexact, faux et désinvolte. Ce sont
les bibliothèques publiques qui auraient chacune droit, avec
l'entente, à un terminal gratuit. Toute et chacune des
bibliothèques des États-Unis. La Corporation des
bibliothécaires du Québec serait bien avisée
de militer pour qu'un tel accord intervienne au profit des
bibliothèques publiques du Québec, par exemple en
échange de la participation d'un nombre significatif de
bibliothèques universitaires. Ensuite, faux, les
bibliothèques universitaires des États-Unis n'ont
droit à aucun poste gratuit, puisqu'elles devront au
contraire s'abonner au programme. En ce qui concerne la
désinvolture de Guylaine Beaudry, elle est surprenante de la
part d'une bibliothécaire, étant donné
l'espace aujourd'hui dévolu à l'informatique dans les
bibliothèques.
(15) Il suffit de prendre connaissance des divers
contrats qui ont été signés au fil du temps
par les bibliothèques avec Google pour voir que c'est le
contraire qui est vrai : les droits des bibliothèques,
notamment sur leurs copies informatiques, sont de mieux en mieux
définis et protégés. En ce qui concerne les
restrictions, elles n'ont rien de « lourdes »,
puisqu'il s'agit de protéger la compagnie contre le vol des
données de sa banque, sa bibliothèque informatique de
7 à 10 millions de livres.
(16) Justement ! et c'est le bon sens qui le
dit. Sur la plaisante ritournelle, voir la note (6).
(17) On ne peut pas, je crois, exprimer la
réalité de cette façon, à moins de
faire croire que Google s'approprie un bien qui ne lui appartient
pas, ce qui va devenir explicite plus loin. Il faut plutôt
dire : les bibliothèques permettent à Google de
scanner leurs livres pour son programme Recherche de livres, non
seulement à ses frais, mais aussi à ses propres
risques (c'est Google qui s'engage à payer les assurances
contre la détérioration, la perte ou le vol de
livres, comme aussi tous les frais juridiques en cas de poursuite
contre la bibliothèque).
(18) Simplification outrancière : les
abonnements et les ventes ne concernent que les livres sous
copyright et ce n'est pas Google qui est le
« vendeur », mais le Registre qui partage les
profits entre la compagnie (37%) et les auteurs et les
éditeurs propriétaires des copyrights. Encore une
fois, la simplification serait beaucoup plus juste si on
lisait : les auteurs et les éditeurs vendent
l'accès de ces livres dans le cadre du programme Recherche
de livres contre une redevance de 37% à la compagnie .
La proportions n'est pas innocente. Les libraires prennent 40% du
prix de vente des livres — et les distributeurs 15%,
d'où le total de 55%. Du coup, le profit de 37% ne
paraît plus aussi scandaleux, puisque Google agira comme
libraire, sans l'intermédiaire d'aucun distributeur, le plus
gros du profit revenant aux ayants droit des livres sous
copyright.
(19) « Qu'est-ce qu'on peut en
tirer » : de quoi ? Ce devrait être de ces
quatre propositions, d'où il suit que le Registre du projet
de Google vendra dorénavant l'impression des livres sous
droit aux citoyens et que les bibliothèques universitaires
et autres institutions pourront s'abonner à divers forfaits
impliquant, toujours, ces livres. Mais ce n'est pas clair, car il
peut s'agir aussi du « résumé »
et donc de l'analyse jusqu'ici, prémisses trop
approximatives, inexactes, voire souvent fausses, pour en
« tirer » quoi que ce soit.
(20) Généralement ?
(21) La présidente veut dire, je crois, que
la propriété du fichier informatique d'un livre qui
a été scanné vaut plus cher que le copyright
sur le livre, ce dont le projet d'entente entre Google et la
poursuite ferait la preuve. Ce n'est évidemment pas le
cas.
(22) De quelle négociation s'agit-il ?
Celle de chacune des bibliothèques participant au projet ou
celle des trois bibliothèques fondatrices ayant
participé au projet d'entente ? On sait que les
contrats des bibliothèques avec l'entreprise doivent
être renégocier dans le cadre du projet d'entente et
que c'est déjà fait pour la bibliothèque de
l'Université du Michigan.
(23) « Certes, [tous] les livres des
bibliothèques [à part entière] signataires
seront numérisés » : un petit
détail pour la présidente de la CBPQ. —
« Certes ! plus d'un million de livres sont
aujourd'hui à la portée de tous les ordinateurs du
monde et plusieurs bibliothèques universitaires ont une
copie électronique de tous leurs livres »... Vous
êtes morts de rire d'avance en attendant le
« mais » et la proposition subordonnée.
Finalement, comme on le voit, la suite, navrante, est vraiment
moins comique qu'on ne l'attendait.
(24) De quoi je me mêle ? C'est la
réplique qu'on doit toujours adresser aux tenants du
discours de la République contre Google :
mêle-toi de tes affaires, cela ne te regarde pas. —
En plus, c'est faux. Non seulement les bibliothèques
liées à Google n'ont signé aucun contrat
d'exclusivité, mais il faut aussitôt ajouter que
certaines d'entre elles participent déjà à
d'autres projets de bibliothèques virtuelles et
électroniques. Par ailleurs, l'ensemble des projets des
bibliothèques et des éditeurs aujourd'hui sur la
toile et via de nombreux médias est si important que
l'entreprise de Google n'est qu'un projet parmi d'autres. Certes,
c'est le plus ambitieux pour l'instant, mais là
s'arrête le constat. En effet, on a lu plus haut ma
prédiction que les particuliers, avant longtemps, scanneront
en un rien de temps leurs bibliothèques et, les mettant en
commun, feront concurrence à Google et à ses
compétiteurs, car il y en aura vite de nombreux.
(25) La formulation passive doit être
réécrite à l'actif : Google a permis à
plus de quinze grandes bibliothèques...
(26) Il s'agit là d'une très grave
accusation contre les quinze bibliothèques liées au
projet.
(27) La rédactrice a perdu le fil de ses
raisonnements depuis plusieurs phrases maintenant. Elle enfile
des perles et, dirais-je, perles sur perles. Les
bibliothèques liées à Google n'ont pas
été vendues; l'avenir de Google ne concerne personne
d'autre que la compagnie et ses actionnaires; on ne trouve dans le
projet aucune « privatisation d'un bien
public », ce n'est pas vrai. Tout ce qui est du domaine
public est accessible gratuitement aux lecteurs sur Recherche de
livres, Google faisant son profit de la publicité qu'on y
vend.
(28) « N'importe quoi » ?
Quoi donc ? Il s'agit là, encore une fois, d'une
insulte gratuite visant les nombreuses et prestigieuses
bibliothèques participant au projet de Google. Je ne crois
pas que de telles accusations soient recevables de la part de la
présidente d'une corporation de bibliothécaires.
— L'« engagement moral » des
bibliothécaires devrait être surtout, je suppose, de
ne pas écrire « n'importe quoi », c'est
le moins que l'on puisse dire. Cela dit, on peut se réjouir
de ce baroud d'honneur du discours de la République contre
Google, car je pense que ce pourrait bien être son chant du
cygne — le chant de la fourmi et c'est la présidente
qui le dit.
(29) C'est en effet le rôle que se sont
données les quinze grandes bibliothèques
engagées dans le projet Recherche de livres.
Alors ?
(30) Il n'y a pas des livres de toutes langues et
de tous pays dans toutes les bibliothèques ?
D'ailleurs les phrases qui précèdent sont
poussives : clients, usagers, mission... De quoi
parle-t-on ?
(31) Discours de fonctionnaire, non ? Je veux
bien, puisque c'est en effet le cas, que les bibliothèques
aient le rôle de « diffuser » leurs
collections (quoique je ne trouve pas le mot approprié,
s'agissant plutôt des fonctions de l'éditeur et du
distributeur), mais en vertu de quelle morale devraient-elles en
plus contrôler la diffusion ? Et en ce qui
concerne la préservation, c'est un important apport du
projet.
(32) Nouvel argument à verser au discours
de la République contre Google. C'est l'effet pernicieux
d'une réalisation strictement privée qui pourrait
empêcher des États de s'impliquer dans la gamique. Il
faudrait toutefois préciser de quels États il s'agit
ou pourrait s'agir. On applique généralement le
raisonnement, inverse, aux entreprises d'État, mais
empêcher un commerçant de commercer ou un fabriquant
de fabriquer sous prétexte que des États (sic)
pourraient, effet pernicieux, ne plus commercer ou fabriquer...
Non, non, c'est plus beau avec le style de Guylaine Beaudry :
pourraient « ne [plus] se sentir concernés par la
responsabilité des institutions documentaires à
numériser pour le bien commun » (le sujet :
certains États).
(33) Comme on le sait, Europeana a
déclaré forfait en 2008 et l'OCA n'est plus active.
La présidente ne le sait pas encore.
(34) Mine de rien, d'un mot,
« ravir », Guylaine Beaudry
répète une accusation gratuite extrêmement
grave, dont elle ne produit pas l'ombre d'une démonstration.
— Certes, on pourrait s'en prendre à bon droit aux
détenteurs de copyrights, aux organismes de redevances des
droits d'auteurs et surtout aux avocats qui en font profession; on
pourrait plaider pour les auteurs qui font les frais de ce commerce
scandaleux pour des salaires invivables; on pourrait surtout
défendre les lecteurs qui n'ont pas à payer pour ce
qui a déjà été payé.
Mais alors, pourquoi ce tissu de
faussetés, d'approximations et de
contre-vérités ? On vient de le voir avec la
chronique de Christian Rioux : lorsqu'on se donne pour
mission de défendre aveuglément ses amis (la
politique défendue par la Bibliothèque nationale du
Québec, en l'occurrence), il est assez naturel que la
pertinence de l'argumentation soit très secondaire. Et
c'est bien dommage, car ce n'est pas ainsi qu'on peut aider sa
« cause ». Et ce n'est pas tout, car cela
implique Le Devoir et le CorpoClip de la CBPQ :
c'est comique, d'accord, mais ce n'en est pas moins scandaleux. En
effet, utiliser l'espace éditorial de son journal, sa
chronique dans ce journal ou l'éditorial du bulletin de sa
corporation, suivi de sa diffusion dans la page des opinions du
même journal, pour se livrer — sans réplique
possible dans le journal en question — à de telles
jérémiades sans rime ni raison, c'est se ridiculiser.
— Je m'appelle Guy Laflèche, j'ai publié un
texte d'opinion dans le Devoir pour proposer que les BANQ
participent au projet de Google. J'ai eu le droit aux insultes de
la direction, pour lesquelles le Devoir a été
condamné doublement.
Il est amusant de lire, dans ce contexte, les
tartines, plaintes, complaintes et jérémiades de
Christian Rioux et de Guylaine Beaudry dans le Devoir.
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7 juin 2009
8 juillet 2010