Tout cela relève de la pathologie. Que
vient faire un dossier « Google » dans une
Encyclopédie de la Francophonie ? Le
prétexte, car c'en est un, est que le système de
recherche qui fait le fonds de commerce de la compagnie de
Californie serait plus utilisé en France qu'aux
États-Unis ! La vérité, c'est que le
dossier, avec toutes ses annexes, ne constitue qu'un virulent
pamphlet contre Google. Le titre même du document dont je
viens de citer un passage relève de la paranoïa qui
est, comme on le sait, un double discours, le délire de
grandeur (la Francophonie, c'est moi, c'est l'intelligence) et un
délire de persécution (Google, c'est l'autre, ce
n'est qu'un système de recherche, bien sûr, mais aussi
une mécanique qui veut délibérément
porter atteinte à mon intelligence, l'anéantir, me
tuer). Ce titre, il ne s'invente pas : « La
Francophonie contre Google : le jugement contre la
machine » ! La thèse : Google a
gagné la guerre mécanique, nous devons gagner la
« guerre du jugement » (je cite textuellement).
Dans le cas de Jacques Dufresne, au point où nous en sommes,
on peut diagnostiquer sans risque d'erreur une forme très
particulière de paranoïa, la paraphrénie
fantastique, celle des frondeurs et fondateurs de sectes, en
l'occurrence des oeuvres salvatrices de l'Agora. Je m'amuse ?
Je ne pense pas. Vous voyez bien que les passages que je cite aux
textes participent d'un discours messianique délirant qui
oppose la Francophonie aux États-Unis. C'est aussi simple
que cela.
Procès d'intentions, accusations sans
fondements, fautes de logique, dont la constante pétition de
principe, d'où il suit nécessairement, c'est le
fondement même de ce type de discours maladif, que jamais le
moindre argument n'est exposé à l'égard
d'affirmations, somme toute, complètement loufoques.
Pourquoi et comment Google favoriserait-il Wikipédia au
détriment des encyclopédies de l'Agora ? On ne
peut porter une telle accusation sans l'ombre d'une
démonstration : est-ce que Google n'enregistrerait pas
tout simplement le fait que l'encyclopédie Wikipédia
en français est plus populaire que celle de l'Agora ?
En quoi Google serait-il un instrument du gouvernement des
États-Unis ou de la culture anglo-saxonne dirigé
contre la Francophonie, notamment ? Et on ne saurait
répondre à cette question sans voir qu'elle comporte
deux propositions, l'une qui pose que Google est l'expression de la
culture états-unienne ou de la puissance des
États-Unis, l'autre qui suppose que Google est dirigé
contre la Francophonie, la France ou ses entreprises. Et si le
système de recherche de Google était au service de
ses utilisateurs, pour en compter le plus possible, et, pour cette
raison même, au service de ses actionnaires ?
Googolâtre, va !
En fait, les idées (si l'on peut
appeler cela comme ça !) de Jacques Dufresne sont d'une
généralité et d'une banalité
incroyables. Il caractérise la compagnie Google (voire les
États-Unis), à partir de son système de
recherche (faute de logique), en l'accusant d'avoir les
caractéristiques d'un système de recherche, n'importe
quel système de recherche, et de n'avoir que ces
caractéristiques-là. Lorsqu'on lit ce qui suit dans
l'intervention de Jacques Dufresne du 21 novembre 2003, plusieurs
fois citées déjà, on ne peut s'empêcher
de rire : « Il faut créer une grande
encyclopédie conçue de façon à pouvoir
devenir un jour un outil de recherche plus efficace que
Google ». Une telle affirmation dépasse
l'entendement. Google, comme système de recherche, est ce
qu'il est, un système de recherche. L'Agora, un projet
d'encyclopédie. Comme n'importe quel
« moteur de recherche » (search
engine), Google recherche et analyse des chaînes de
caractères, rien de plus, rien de moins. L'ancêtre de
ces systèmes est le tout bête index
alphabétique. Or, même les encyclopédies ne
s'en passent pas et celui de l'encyclopédie
Universalis en 1968 ne faisait pas moins de trois tomes sur
vingt. À remarquer que l'Agora n'en a encore aucun. En
revanche, les index analytiques sont d'un tout autre ordre et ne
remplaceront jamais les premiers, pour la raison évidente
que chacun des index analytiques est par définition unique
et sans commune mesure avec aucun autre, forcément. Dans un
livre classique, vous trouvez les deux classements de
l'information, la table ou l'index des matières et les index
alphabétiques. Imaginer un instant qu'un des deux
systèmes pourrait remplacer l'autre, c'est faire preuve
d'une rare méconnaissance des modes de classement de
l'information.
Même genre d'affirmations en ce qui
concerne les caractéristiques propres à
Wikipédia dont Jacques Dufresne réussit à
faire des défauts par rapport aux encyclopédies
traditionnelles où se classent celles de l'Agora et en
particulier l'Encyclopédie de la Francophonie :
il s'agit d'encyclopédies classiques dont la seule
originalité est d'être publiées (ou
plutôt en cours de publication) sur l'internet, l'internet
n'étant ici qu'un moyen de diffusion. Wikipédia est
une encyclopédie informatique de l'internet, ce qui est tout
autre chose. Et c'est probablement, à ce jour, la plus
grande réussite du médium, après l'invention
de l'internet lui-même. Et Wikipédia est encore peu
de chose par rapport à ce qu'il sera et à ce que
seront ses concurrents (le Knol de Google par exemple —
« un nouveau défi pour la
Francophonie », selon Jacques Dufresne, qui n'en rate pas
une ! —) dans vingt ou trente ans, mais c'est
déjà sans commune mesure avec l'ancêtre que fut
l'encyclopédie de Diderot. On peut écrire la
vérité, j'espère ? Après la
première encyclopédie
« collective » en langue française, qui
fut d'elle-même « évolutive »,
soit l'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des
sciences, des arts et des métiers, par une
société de gens de lettres, mis en ordre par M.
Diderot et par M. D'Alembert, vint Wikipédia, une
encyclopédie en continuel développement et
renouvellement, qui n'a été mise en ordre par aucune
société d'écrivains, d'universitaires ou de
notables, mais tout simplement par les
« savants », ceux qui ont des connaissances
à partager et qui acceptent d'avance d'être
complétés, corrigés, voire contredits.
Wikipédiâtre, va !
En tout cas, il y a tout de même un
point fort de Wikipédia : Jacques Dufresne ne pourrait
pas y sévir et jamais il n'aurait pu y publier son
prétendu dossier « Google » et ses
textes annexes, notamment sa diatribe à mon endroit. Comme
on peut m'insulter sans droit de réplique possible au
Devoir, Jacques Dufresne peut s'en prendre à moi de
son propre chef, sans droit de réplique imaginable et
raisonnable, à l'Encyclopédie de la
Francophonie de l'Agora. Titre d'un article
d'encyclopédie : « La Googolâtrie d'un
universitaire montréalais, monsieur Guy
Laflèche » ! Finalement, voilà
fondée cette accusation de « relativisme
numérique » (3)
portée contre
Wikipédia, dont on ne comprenait pas trop le sens :
c'est tout simplement le devoir de présenter des points de
vue équilibrés. Avouons-le, le discours de l'Agora
contre Wikipédia est encore plus amusant que celui de la
République contre Google.
(1) Jacques Dufresne, « La
googolâtrie d'un universitaire montréalais, monsieur
Guy Laflèche », document associé au dossier
« Google », l'Encyclopédie de la
Francophonie. On trouve le dossier dans la section
« Culture et éducation » >
« Médias » >
« Google » :
Agora.qc.ca/francophonie.nsf
Le texte en question se trouve à la gigantesque adresse
suivante :
agora.qc.ca/francophonie.nsf/Documents/Google--La_
Googolatrie_dun_universitaire_montrealais_monsieur_Guy_Lafleche_
par_Jacques_Dufresne
Le voici en pièce jointe :
La goolâtrie d'un universitaire
montréalais, monsieur Guy Laflèche
L'intervention de Jacques Dufresne à la
table ronde de Jean Tardif est d'abord une présentation,
puis une défense et illustration des encyclopédies de
l'Agora, qui devient petit à petit un dénigrement de
Wikipédia, puis de Google, d'où la reprise de son
attaque contre « l'idolâtrie bavarde d'un certain
milieu universitaire, dont fait partie monsieur Guy
Laflèche, de l'Université de Montréal, auteur
d'un article où » etc.
www.planetagora.org/montreal/dufresne.html
À remarquer que l'enregistrement
vidéo (qu'on trouve sur le CÉRIUM de
l'Université de Montréal) ne correspond pas au texte
de l'intervention.
Jacques Dufresne m'apostrophe également
dans le dossier « The Dead of French Culture »
de son encyclopédie à titre de
« googolâtre qui répond au nom de Guy
Laflèche ».
Je ne pensais jamais mériter de sa part
tant d'attention et tant de hargne. Mais maintenant je comprends,
comme on le comprendra à la lecture du présent
chapitre. Après « la République contre
Google », c'est « l'Agora contre le
tandem Google-Wikipédia ».
(2) Je dois dire que Jacques Dufresne a
esquivé mes deux questions principales, très simples,
à savoir la date de la rédaction et de la publication
de son article à mon sujet; ensuite le fait de savoir si
cet article n'aurait pas été d'abord un texte
d'opinion adressé au Devoir, comme j'en suis
persuadé. Il m'a dit se souvenir vaguement, maintenant que
je lui en parlais, de la réplique de Lise Bissonnette.
Quelle mémoire !
Notre correspondance confirme qu'il ne
connaissait rien de mon essai au sujet des copyrights sur la toile
et du fabuleux chapitre intitulé « La
République contre Google ». En revanche, Jacques
Dufresne n'est pas avare d'informations sur les aléas de
l'Agora et m'a donné beaucoup d'informations
concrètes sur l'histoire de ses entreprises.
Nos échanges ont été
interrompus abruptement lorsqu'il a compris qu'on allait
forcément lire ce que j'allais écrire, ma
réplique à son article à mon sujet — et
que cela ne se passerait pas à l'Agora où il
espérait contrôler mon texte.
(3) « Google-Wikipédia
ou le relativisme numérique »,
Encyclopédie de la Francophonie.
(4) Intervention du 21 novembre 2007,
citée n. (1). La « diversité
bioculturelle », ce ne serait pas une formulation
raciste ? Bien sûr que oui. Toute culture, par
définition, est un phénomène national. Ce
n'est pas une donnée ethnique ou trans-nationale. Il n'y a
pas, par exemple, de culture « francophone »,
comme il n'y a pas de culture « anglophone ».
C'est une affirmation stupide. Raciste. Le Québec, nation
de langue française d'Amérique, n'a, bien entendu,
aucune « bioculture ». La culture
québécoise, par définition, est celle de la
nation du Québec. Il y a parfois des tautologies qui
doivent être assénées aux imbéciles,
particulièrement aux racistes qui s'ignorent.
(5) Dans une entrevue avec
Stéphane Baillargeon au Devoir, 7 février
2009.
(6) En annexe au document « La
Francophonie contre Google », dossier
« Google », Encyclopédie de la
Francophonie.
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