TdM RRR / Le Recueil des Récits de Rêve - édition de Guy Laflèche TGdM

Analyse du corpus de la thèse de Frédéric Canovas
État de son dépouillement
Introduction Auteurs OEuvres Chronologie

   Frédéric Canovas, Narratologie du récit de rêve dans la prose française de Charles Nodier à Julien Gracq, thèse de doctorat, University of Oregon, Department of Romance Languages, 1992, 271 p. C'est ce travail qui est à l'origine de notre édition des récits de rêve littéraires. Il faut commencer par trouver et revoir un à un les textes retenus par Canovas pour les éditer et c'est sur cette base qu'on tente ici de développer son corpus sur l'ensemble de la littérature française.

Table des matières

Table générale des récits de rêve littéraires


Le corpus de Frédéric Canovas

      Les deux premiers chapitres de la thèse de Frédéric Canovas présentent les conclusions de son analyse du discours narratif des récits de rêve dans la littérature française depuis le XVIIIe siècle. Pour réaliser ce travail, l'auteur a dépouillé et étudié près de trois cents (300) récits de rêve. Il en donne la liste des auteurs retenus et des oeuvres dépouillées dans trois appendices de son oeuvre en distinguant les oeuvres de fiction, les oeuvres autobiographiques et les revues.

      Les rêves ne sont toutefois pas désignés et situés dans les oeuvres. En revanche, toutes les oeuvres figurent dans la bibliographie qui se trouve à la fin de la thèse et chaque fois que les textes des rêves sont cités dans la thèse, on peut réussir à les retrouver sans trop de peine dans l'oeuvre. Mais tous les rêves ne sont pas cités. Notre premier travail consiste donc à trouver et situer les récits de rêve dans les oeuvres.

Analyse critique du corpus de F. Canovas

      Une thèse de doctorat correspond à quelques années de travail seulement et on comprend que l'auteur doive établir assez rapidement son corpus, surtout s'il s'agit d'une somme de plusieurs centaines de récits. Il s'y glisse forcément quelques erreurs, erreurs qui n'ont d'ailleurs absolument aucun impact sur l'ensemble de la thèse.

      En revanche, s'il s'agit d'établir scientifiquement un corpus des principaux récits de rêve de la littérature française, il convient évidemment de les corriger. C'est cette analyse critique qu'on trouvera ici.

      Notre principe toutefois est simple : comme le corpus de Frédéric Canovas sert de point de départ à notre étude narrative, nous avons choisi de retenir et d'éditer TOUS les récits de son corpus. Cela a deux conséquences sur notre travail d'édition.

      Cela signifie d'abord que nous retenons quelques textes qui ne correspondent pas exactement à la définition stricte de ce qu'est un récit, un récit de rêve, voire un rêve pour l'étude narrative. On trouve les titres des oeuvres ou les noms des rêves entre crochets dans notre répertoire principal et un astérisque à la suite du titre renvoie chaque fois en tête des notes du texte édité pour expliquer le fait. Ces textes pourront servir de contre-exemple à l'étude narrative.

      Cela signifie ensuite, par la force des choses, que nous écartons tout ce qui ne peut correspondre à un « texte » ! Une vision, un délire, un épisode de somnambulisme, etc., cela ne correspond nullement à un rêve, mais c'est encore un texte. En revanche, si l'on ne trouve aucun récit de rêve ou rien d'approchant dans une oeuvre (« Rêves » de Maupassant, par exemple), il n'y a évidemment rien à éditer. Mais tel est également le cas — et beaucoup plus significatif — lorsque l'oeuvre ne comprend qu'un seul niveau narratif sur ce point. Prenons le cas de deux oeuvres de Prosper Mérimée. Lorsque le comte Szémioth marmonne quelques mots dans son sommeil (« Lokis ») ou qu'une rumeur voudrait que Mme de Chaverny ait rêvé (« La double méprise »), il n'y a là aucun récit intradiégétique (aucun récit de quoi que ce soit dans le récit principal). Il n'y a donc rien à éditer et l'information tient, comme on le verra, à une simple note dans les listes ci- dessous.

Chronologie et errata

      Dans les deux listes qui vont suivre l'astérisque (*) indique les oeuvres actuellement en cours de traitement, et deux astérisques (**) les rêves édités. On trouve entre chochets les textes qui ne correspondent pas à des récits de rêve. Quelques dates de publication ont été corrigées :

1853 => 1823,  Han d'Islande, Hugo
1853 => 1850,  Les Filles du feu, Nerval
1865 => 1864,  Un Prêtre marié, Barbey d'Aurevilly
1927 => 1928,  Nadja, Breton
1927 => 1926,  Le Voyageur sur la terre, Green
1945 => 1944,  Arcane 17, Breton
1955 => 1948,  Le Malfaiteur, Green
1958 => 1951,  Mémoires d'Hadrien, Yourcenar
1971 => 1930,  L'Autre sommeil, Green

      À remarquer également que les oeuvres de 1900 (Jean Santeuil) et de 1902 (l'Hérésiarque et Cie) n'étaient pas tout à fait à leur place dans la chronologie de Canovas.

      Enfin, les Lettres à une inconnue (1873), de Prosper Mérimée étaient considérées comme un roman épistolaire et classées en conséquence dans les oeuvres de fiction.

      Dans le cas des oeuvres éditées ou en cours d'édition, nous indiquons entre parenthèses le nombre de rêves (ou de récits édités) s'il y en a plus d'un, la plupart des oeuvres ne comptant qu'un seul récit de rêve.

Principaux récits de rêve dans les oeuvres de fiction

      La liste qui suit est construite à partir du premier appendice de la thèse de Frédéric Canovas (Appendice A, p. 248-250).

** 1804,  Obermann, Senancour
[** 1809,  les Martyrs, Chateaubriand]
[** 1818,  Jean Sbogar, Nodier (1)]
[** 1821,  Smarra, Nodier (1)]
 * 1823,  Han d'Islande, Hugo
** 1824,  Annette et le criminel, Balzac
 * 1829,  le Dernier Jour d'un condamné, Hugo
[** 1831a,  la Peau de chagrin, Balzac]
** 1831b,  Jésus-Christ en Flandres, Balzac
   1831,  Atar-Gull, Sue
** 1832,  la Fée aux miettes, Nodier (2 rêves)
** 1833a,  Onuphrius, Gauthier
   1833b,  Maître et valet, Janin
[** 1833c,  la Double Méprise, Mérimée (2)]
** 1834,  les Âmes du Purgatoire, Mérimée
** 1836,  la Morte amoureuse, Gauthier
** 1837,  César Birotteau, Balzac
   1840a,  Pièce de pièces, temps perdu, Forneret
** 1840b,  le Pied de momie, Gauthier
** 1841,  Ursule Mirouet, Balzac (2 rêves)
** 1842,  Gaspard de la nuit, Bertrand (5 rêves)
   1846,  Rêves, Forneret
[** 1850,  les Filles du feu, Nerval]
** 1852,  les Nuits d'octobre, Nerval (2 rêves)
** 1855,  Aurélia, Nerval (10 rêves [et trois visions])
   1856,  le Bourgmestre en bouteille, Herckmann-Chatrian
   1858a,  Caressa, Forneret
   1858b,  la Double Vie, Asselineau
** 1862,  les Misérables, Hugo
   1863,  Lettres d'un voyageur, Sand
[** 1864,  Un Prêtre marié, Barbey d'Aurevilly]
** 1865,  Spirite, Gautier
   1867a,  Tribulat Bonhomet, Villiers de l'Isle-Adam
** 1867b,  Thérèse Raquin, Zola
** 1869a,  les Chants de Maldoror de Lautréamont par Ducasse (1 rêves)
** 1869b,  'Éducation sentimentale, Flaubert (2 rêves)
[** 1869c,  Lokis, Mérimée (3)]
** 1873a,  Djoumane, Mérimée
[** 1876,  le Docteur Héraclius Gross, Maupassant]
   1877,  l'Assommoir, Zola
** 1882a,  Fleurs d'ennui, Loti
[** 1882b,  Magnétisme, Maupassant]
[**1882c,  Rêves, Maupassant (4)]
[**1883a,  Apparition, Maupassant (5)]
[** 1883b,  Lui?, Maupassant]
[** 1883c,  la Main, Maupassant]
   1883d,  la Reine Ysabeau, Villiers de l'Isle-Adam
** 1883e,  Au bonheur de dames, Zola
   1884a,  Songes, Poictevin
   1884b,  la Joie de vivre, Zola
** 1884c,  À rebours, Huysmans
[** 1886a,  Croquis parisiens, Huysmans (2 textes)]
** 1886b,  Sur les chats, Maupassant (2 rêves, une seule entrée)
** 1887a,  En rade, Huysmans (2 rêves [et une rêverie])
** 1887b,  le Horla, Maupassant
** 1887c,  la Nuit, Maupassant
   1887d,  Zo'har, Mendès
** 1887e,  Propos d'exil, Loti
   1888,  Derniers Songes, Poictevin
[** 1889a,  l'Endormeuse, Maupassant]
   1889b,  Double, Poictevin
** 1890,  le Livre de la pitié et de la mort, Loti (3 rêves)
   1893,  Le Voyage d'Urien, Gide
   1894,  Histoires magiques, Gourmont
** 1895a,  Paludes, Gide
   1895b,  Le Puits de Sainte Claire, France
   1897,  Les Jours et les nuits, Jarry
   1899,  Le Songe d'une femme, Gourmont
** 1900,  Jean Santeuil, Proust
   1901,  Monsieur de Phocas, Lorrain
** 1902,  L'Hérésiarque et Cie, Apollinaire (2 rêves)
** 1908,  Les Vrilles de la vigne, Colette
** 1909,  L'Enchanteur pourrissant, Apollinaire
** 1913,  Du côté de chez Swann, Proust (1 rêve [et plusieurs évocations à l'incipit])
** 1918,  Simon le pathétique, Giraudoux
** 1920,  Le Côté de Guermantes, Proust (1 rêve [et deux évocations])
** 1921a,  Sodome et Gomorrhe, Proust (2 rêves)
** 1921b,  Suzanne et le Pacifique, Giraudoux (1 rêve [et deux rêveries])
   1921c,  Le Pont traversé, Paulhan
** 1923,  Clair de terre, Breton (5 rêves)
   1924,  Les Pincenqrain, Jouhandeau
** 1925a,  Les Enfants terribles, Cocteau
   1925b,  L'Homme de la Pampa, Supervielle
   1925c,  Mon corps et moi, Crevel
   1926b,  La Mort difficile, Crevel
** 1926c,  Sous le soleil de Satan, Bernanos
   1926d,  Babylone, Crevel
** 1926e,  Le Voyageur sur la terre, Green
   1927b,  Connaissance de la mort, Vitrac
** 1928b,  Nadja, Breton
   1929,  Etes-vous fou?, Crevel
** 1930a,  L'Autre sommeil, Green
   1930b,  Le Rôdeur, Herbart
   1932,  Histoires sanglantes, Jouve
** 1934a,  Le Visionnaire, Green
   1934b,  Souvenirs d'un fantôme, Fargue
   1934c,  Derborence, Ramuz
   1935,  Le Bleu du ciel, Bataille
** 1936,  Minuit, Green (3 rêves [et une vision])
   1938a,  Au château d'Araol, Gracq
** 1938b,  La Nausée, Sartre
   1941,  Haute Solitude, Fargue
[** 1945a,  Arcane 17, Breton]
   1945b,  Un Beau Ténébreux, Gracq
   1945c,  Alcyon, Herbart
   1945d,  La Vie seconde, Hellens
   1946,  Les Enfants sans âge, Cassou
   1947,  Cauchemar, Gracq
** 1948,  Le Malfaiteur, Green
[** 1950a,  Moïra, Green (2 textes)]
   1950b,  Les Causes célèbres, Paulhan
** 1951,  Mémoires d'Hadrien, Yourcenar
   1950c,  L'Imposteur, Jouhandeau
   1953,  Marbre ou les mystères de l'Italie, Pieyre de Mandiargues
** 1955,  Tamerlan des coeurs, Obaldia
   1958,  Le Cadran lunaire, Pieyre de Mandiargues
   1960b,  Contes du demi-sommeil, Béalu
   1963,  La Chasse au mérou, Limbour
   1967a,  Les Chevaux de la nuit, Seignole
** 1967b,  Un Homme qui dort, Perec (2 rêves, une seule entrée)
   1968,  Tempérament de nuit, Michaux
   1970,  La Presqu'île, Gracq
   1975-1977,  Matière de rêve, Butor
[** 1984 (ou 1977?),  Lumière des songes, Caillois]

Principaux récits de rêve dans les oeuvres autobiographiques

      Voir le second appendice de la thèse de Frédéric Canovas (Appendice B, p. 251).

   1820-1821,  Carnets intimes, Hugo
   1848-1880,  Journal intime, Amiel
   1851-1896,  Journal. Mémoires de la vie littéraire, Concourt
   1856,  Lettre à Charles Asselineau, Baudelaire
** 1873,  Lettres à une inconnue, Mérimée
   1873-1884,  Journal, Bashkirtseff
   1878-1885,  Journal intime, Loti
   1889-1949,  Journal, Gide
   1892-1893,  Récits de rêve, Valéry
   1912-1935,  Journal inédit, Larbaud
   1922-1927,  Jaune Bleu Blanc, Larbaud
   1923-1965,  Écrits intimes, Vaillant
   1926-1934,  Les Années faciles, Green
   1926,  Tel quel, Valéry
   1928,  La Vie de l'espace, Maeterlinck
   1935-1939,  Derniers Beaux Jours, Green
   1938,  Les Songes et les sorts, Yourcenar (6)
   1939,  Donner à voir, Eluard
   1940-1942,  Devant la porte sombre, Green
** 1940,  L'Imaginaire, Sartre (2 rêves)
   1943-1945,  L'OEil de l'ouragan, Green
   1944,  Les Secrets du rêve, Béalu
   1946-1950,  Le Revenant, Green
   1954,  En miroir : journal sans date, Jouve
   1955,  Le Bel Aujourd'hui, Green
   1956,  L'Incertitude qui vient des rêves, Caillots
   1957-1982,  Journaliers, Jouhandeau
   1960,  Je vous écris, Arland
** 1963,  La Force des choses, Beauvoir
   1967,  Lettrines, Gracq
   1968,  La Vie en rêve, Béalu
   1969,  Moi je, Roy
   1975,  Les Mots pour le dire, Cardinal
   1980,  Biographie, Navarre

Textes écartés, non édités dans le RRR

(1) On ne trouve aucun récit de rêve dans Jean Sbogar (1818). En revanche, toute l'oeuvre de Nodier est imprégnée de l'onirique, tout comme les oeuvres des préromantiques, des romantiques allemands, des romantiques français, jusqu'au Grand Meaulnes d'Alain-Fournier, par exemple.

      C'est à plus forte raison le cas de Smarra (1821), un récit « frénétique » d'inspiration macabre artificiellement justifié par les formes du « rêve » et du « cauchemar ». Ce roman n'a évidemment rien a voir avec le récit de rêve, ni même le rêve, sauf au niveau du contenu thématique. Smarra raconte sur cinquante pages une histoire d'aventures... dont Lorenzo/Lucius finalement se réveille... C'était un cauchemar.

      Il faut également écarter du corpus des récits de rêve, pour les mêmes raisons, les jeux de Tildy (1822), opposant de manière charmante (au sens étymologique) les diverses apparitions de l'elphe. Mettre au nombre des récits de rêve les « rêves » où le lutin « apparaît » à Jeannie (OEuvre complète, p. 210-211, 238-239) sous les traits d'un... Mac Farlane, c'est confondre le rêve et l'onirisme. Il s'agit d'une évidente faute de lecture, le lutin n'ayant jamais autrement existé ! Aucun « récit de rêve » ici.

      Enfin, on n'en finit jamais, il faut écarter du corpus des récits de rêve, un morceau de bravoure, « Un rêve » (1830). Il s'agit d'une fantaisie philosophique de l'ordre du rêve de d'Alambert de Diderot, mettant ici en scène des « anthropophages » (sans titre, « Miscellanée », Revue de Paris, no 21, décembre 1930, p. 141-163, rééd. Emmanuel Dazin, éditeur, Charles Nodier, De quelques phénomènes du sommeil, Paris, Le Castor Astral, 1996, p. 35-37).

(2) La Double méprise (1833) de Prosper Mérimée ne contient aucun récit de rêve. Julie de Chaverny est malheureuse, mariée à un homme qui la traite mal et qu'elle n'aime pas. Un homme lui fait la cour cependant, Châteaufort, pour qui elle n'éprouve rien. Vient une soirée à la campagne chez madame Lambert, où Julie revoit Darcy, un homme qui lui avait vaguement plu voici quelques années, et qui, de retour d'un séjour de six ans en Orient, lui plaît alors extrêmement. Elle pense même l'aimer, tandis que lui pense plutôt en profiter pour agrémenter son hiver. Lors du retour à Paris, la voiture de Julie a un accident et Darcy la secourt. Dans sa voiture où il la reconduit, ils s'aiment. Après l'amour, Darcy ne se trouve plus que poli. Julie se rend alors compte de ce qu'a d'artificiel et de très éphémère sa flamme pour cet homme, comprenant que Darcy ne l'a jamais aimée. C'est alors qu'elle rentre chez elle et se couche pour une nuit bien agitée. Au matin, affaiblie par cette nuit d'insomnie, elle annonce qu'elle part pour Nice, prétextant qu'elle va y rejoindre sa mère, malade. Elle meurt de pneumonie en cours de route. Après cela, des rumeurs circulent : « Suivant les uns, elle avait eu un rêve, ou, si l'on veut, un pressentiment qui lui annonçait que sa mère était malade. Elle en avait été tellement frappée qu'elle s'était mise en route pour Nice sur-le-champ » (Romans et Nouvelles, éd. par Henri Martineau, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1951, p. 350). A cette rumeur se réduit de rêve et le lecteur sait qu'elle est fausse : Sylvie meurt de honte et de chagrin.