Les deux premiers chapitres de la thèse
de
Frédéric Canovas présentent les conclusions de
son analyse du discours narratif des récits de rêve
dans la littérature française depuis le XVIIIe
siècle. Pour réaliser ce travail, l'auteur a
dépouillé et étudié près de
trois cents (300) récits de rêve. Il en donne la
liste des auteurs retenus et des oeuvres dépouillées
dans trois appendices de son oeuvre en distinguant les oeuvres de
fiction, les oeuvres autobiographiques et les revues.
Les rêves ne sont toutefois pas
désignés et
situés dans les oeuvres. En revanche, toutes les oeuvres
figurent dans la bibliographie qui se trouve à la fin de la
thèse et chaque fois que les textes des rêves sont
cités dans la thèse, on peut réussir à
les retrouver sans trop de peine dans l'oeuvre. Mais tous les
rêves ne sont pas cités. Notre premier travail
consiste donc à trouver et situer les récits de
rêve dans les oeuvres.
Une thèse de doctorat correspond
à quelques
années de travail seulement et on comprend que l'auteur
doive établir assez rapidement son corpus, surtout s'il
s'agit d'une somme de plusieurs centaines de récits. Il s'y
glisse forcément quelques erreurs, erreurs qui n'ont
d'ailleurs absolument aucun impact sur l'ensemble de la
thèse.
En revanche, s'il s'agit d'établir
scientifiquement un
corpus des principaux récits de rêve de la
littérature française, il convient évidemment
de les corriger. C'est cette analyse critique qu'on trouvera
ici.
Notre principe toutefois est simple : comme
le corpus de
Frédéric Canovas sert de point de départ
à notre étude narrative, nous avons choisi de retenir
et d'éditer TOUS les récits de son corpus. Cela a
deux conséquences sur notre travail d'édition.
Cela signifie d'abord que nous retenons
quelques textes qui ne
correspondent pas exactement à la définition stricte
de ce qu'est un récit, un récit de rêve, voire
un rêve pour l'étude narrative. On trouve les titres
des oeuvres ou les noms des rêves entre crochets dans notre
répertoire principal et un astérisque à la
suite du titre renvoie chaque fois en tête des notes du texte
édité pour expliquer le fait. Ces textes pourront
servir de contre-exemple à l'étude narrative.
Cela signifie ensuite, par la force des
choses, que nous
écartons tout ce qui ne peut correspondre à un
« texte » ! Une vision, un délire,
un épisode de somnambulisme, etc., cela ne correspond
nullement à un rêve, mais c'est encore un texte. En
revanche, si l'on ne trouve aucun récit de rêve ou
rien d'approchant dans une oeuvre
(« Rêves » de Maupassant, par exemple),
il n'y a évidemment rien à éditer. Mais tel
est également le cas — et beaucoup plus significatif
—
lorsque l'oeuvre ne comprend qu'un seul niveau narratif sur
ce point. Prenons le cas de deux oeuvres de Prosper
Mérimée. Lorsque le comte Szémioth marmonne
quelques mots dans son sommeil (« Lokis ») ou
qu'une rumeur voudrait que Mme de Chaverny ait rêvé
(« La double méprise »), il n'y a
là aucun récit intradiégétique (aucun
récit de quoi que ce soit dans le récit principal).
Il n'y a donc rien à éditer et l'information tient,
comme on le verra, à une simple note dans les listes ci-
dessous.
Dans les deux listes qui vont suivre
l'astérisque (*)
indique les oeuvres actuellement en cours de
traitement, et deux astérisques (**) les rêves
édités. On trouve entre chochets les textes qui ne
correspondent pas à des récits de rêve.
Quelques dates de publication ont été
corrigées :
1853 => 1823, Han d'Islande, Hugo
1853 => 1850, Les Filles du feu, Nerval
1865 => 1864, Un Prêtre marié, Barbey
d'Aurevilly
1927 => 1928, Nadja, Breton
1927 => 1926, Le Voyageur sur la terre, Green
1945 => 1944, Arcane 17, Breton
1955 => 1948, Le Malfaiteur, Green
1958 => 1951, Mémoires d'Hadrien,
Yourcenar
1971 => 1930, L'Autre sommeil, Green
À remarquer également que les
oeuvres de 1900
(Jean
Santeuil) et de 1902 (l'Hérésiarque et
Cie)
n'étaient pas tout à fait à leur place dans la
chronologie de Canovas.
Enfin, les Lettres à une
inconnue (1873), de Prosper
Mérimée étaient considérées
comme un roman épistolaire et classées en
conséquence dans les oeuvres de fiction.
Dans le cas des oeuvres éditées
ou en cours
d'édition,
nous indiquons entre parenthèses le nombre de rêves
(ou de
récits édités) s'il y en a plus d'un, la
plupart des
oeuvres ne comptant qu'un seul récit de rêve.
La liste qui suit est construite à
partir du premier
appendice de la thèse de Frédéric Canovas
(Appendice A, p. 248-250).
** 1804, Obermann, Senancour
[** 1809, les Martyrs, Chateaubriand]
[** 1818, Jean Sbogar, Nodier (1)]
[** 1821, Smarra, Nodier (1)]
* 1823, Han d'Islande, Hugo
** 1824, Annette et le criminel, Balzac
* 1829, le Dernier Jour d'un condamné,
Hugo
[** 1831a, la Peau de chagrin, Balzac]
** 1831b, Jésus-Christ en Flandres, Balzac
1831, Atar-Gull, Sue
** 1832, la Fée aux miettes, Nodier (2
rêves)
** 1833a, Onuphrius, Gauthier
1833b, Maître et valet, Janin
[** 1833c, la Double Méprise,
Mérimée (2)]
** 1834, les Âmes du Purgatoire,
Mérimée
** 1836, la Morte amoureuse, Gauthier
** 1837, César Birotteau, Balzac
1840a, Pièce de pièces, temps
perdu,
Forneret
** 1840b, le Pied de momie, Gauthier
** 1841, Ursule Mirouet, Balzac (2 rêves)
** 1842, Gaspard de la nuit, Bertrand (5
rêves)
1846, Rêves, Forneret
[** 1850, les Filles du feu, Nerval]
** 1852, les Nuits d'octobre, Nerval (2
rêves)
** 1855, Aurélia, Nerval (10 rêves [et
trois visions])
1856, le Bourgmestre en bouteille,
Herckmann-Chatrian
1858a, Caressa, Forneret
1858b, la Double Vie, Asselineau
** 1862, les Misérables, Hugo
1863, Lettres d'un voyageur, Sand
[** 1864, Un Prêtre marié, Barbey
d'Aurevilly]
** 1865, Spirite, Gautier
1867a, Tribulat Bonhomet, Villiers de
l'Isle-Adam
** 1867b, Thérèse Raquin, Zola
** 1869a, les Chants de Maldoror de
Lautréamont par Ducasse (1 rêves)
** 1869b, 'Éducation sentimentale, Flaubert
(2
rêves)
[** 1869c, Lokis, Mérimée (3)]
** 1873a, Djoumane, Mérimée
[** 1876, le Docteur Héraclius Gross,
Maupassant]
1877, l'Assommoir, Zola
** 1882a, Fleurs d'ennui, Loti
[** 1882b, Magnétisme, Maupassant]
[**1882c, Rêves, Maupassant (4)]
[**1883a, Apparition, Maupassant (5)]
[** 1883b, Lui?, Maupassant]
[** 1883c, la Main, Maupassant]
1883d, la Reine Ysabeau, Villiers de
l'Isle-Adam
** 1883e, Au bonheur de dames, Zola
1884a, Songes, Poictevin
1884b, la Joie de vivre, Zola
** 1884c, À rebours, Huysmans
[** 1886a, Croquis parisiens, Huysmans (2
textes)]
** 1886b, Sur les chats, Maupassant (2 rêves,
une seule
entrée)
** 1887a, En rade, Huysmans (2 rêves [et une
rêverie])
** 1887b, le Horla, Maupassant
** 1887c, la Nuit, Maupassant
1887d, Zo'har, Mendès
** 1887e, Propos d'exil, Loti
1888, Derniers Songes, Poictevin
[** 1889a, l'Endormeuse, Maupassant]
1889b, Double, Poictevin
** 1890, le Livre de la pitié et de la mort,
Loti
(3
rêves)
1893, Le Voyage d'Urien, Gide
1894, Histoires magiques, Gourmont
** 1895a, Paludes, Gide
1895b, Le Puits de Sainte Claire,
France
1897, Les Jours et les nuits, Jarry
1899, Le Songe d'une femme, Gourmont
** 1900, Jean Santeuil, Proust
1901, Monsieur de Phocas, Lorrain
** 1902, L'Hérésiarque et Cie,
Apollinaire
(2 rêves)
** 1908, Les Vrilles de la vigne, Colette
** 1909, L'Enchanteur pourrissant,
Apollinaire
** 1913, Du côté de chez Swann, Proust
(1
rêve [et plusieurs évocations à l'incipit])
** 1918, Simon le pathétique, Giraudoux
** 1920, Le Côté de Guermantes, Proust
(1
rêve [et deux évocations])
** 1921a, Sodome et Gomorrhe, Proust (2
rêves)
** 1921b, Suzanne et le Pacifique, Giraudoux (1
rêve [et deux rêveries])
1921c, Le Pont traversé,
Paulhan
** 1923, Clair de terre, Breton (5 rêves)
1924, Les Pincenqrain, Jouhandeau
** 1925a, Les Enfants terribles, Cocteau
1925b, L'Homme de la Pampa,
Supervielle
1925c, Mon corps et moi, Crevel
1926b, La Mort difficile, Crevel
** 1926c, Sous le soleil de Satan, Bernanos
1926d, Babylone, Crevel
** 1926e, Le Voyageur sur la terre, Green
1927b, Connaissance de la mort,
Vitrac
** 1928b, Nadja, Breton
1929, Etes-vous fou?, Crevel
** 1930a, L'Autre sommeil, Green
1930b, Le Rôdeur, Herbart
1932, Histoires sanglantes, Jouve
** 1934a, Le Visionnaire, Green
1934b, Souvenirs d'un fantôme,
Fargue
1934c, Derborence, Ramuz
1935, Le Bleu du ciel, Bataille
** 1936, Minuit, Green (3 rêves [et une
vision])
1938a, Au château d'Araol,
Gracq
** 1938b, La Nausée, Sartre
1941, Haute Solitude, Fargue
[** 1945a, Arcane 17, Breton]
1945b, Un Beau Ténébreux,
Gracq
1945c, Alcyon, Herbart
1945d, La Vie seconde, Hellens
1946, Les Enfants sans âge,
Cassou
1947, Cauchemar, Gracq
** 1948, Le Malfaiteur, Green
[** 1950a, Moïra, Green (2 textes)]
1950b, Les Causes
célèbres,
Paulhan
** 1951, Mémoires d'Hadrien, Yourcenar
1950c, L'Imposteur, Jouhandeau
1953, Marbre ou les mystères de
l'Italie,
Pieyre de
Mandiargues
** 1955, Tamerlan des coeurs, Obaldia
1958, Le Cadran lunaire, Pieyre de
Mandiargues
1960b, Contes du demi-sommeil,
Béalu
1963, La Chasse au mérou,
Limbour
1967a, Les Chevaux de la nuit,
Seignole
** 1967b, Un Homme qui dort, Perec (2 rêves,
une seule
entrée)
1968, Tempérament de nuit,
Michaux
1970, La Presqu'île, Gracq
1975-1977, Matière de rêve,
Butor
[** 1984 (ou 1977?), Lumière des songes,
Caillois]
Voir le second appendice de la thèse de
Frédéric Canovas (Appendice B, p. 251).
1820-1821, Carnets intimes, Hugo
1848-1880, Journal intime, Amiel
1851-1896, Journal. Mémoires de la
vie
littéraire,
Concourt
1856, Lettre à Charles
Asselineau,
Baudelaire
** 1873, Lettres à une inconnue,
Mérimée
1873-1884, Journal, Bashkirtseff
1878-1885, Journal intime, Loti
1889-1949, Journal, Gide
1892-1893, Récits de rêve,
Valéry
1912-1935, Journal inédit,
Larbaud
1922-1927, Jaune Bleu Blanc,
Larbaud
1923-1965, Écrits intimes,
Vaillant
1926-1934, Les Années faciles,
Green
1926, Tel quel, Valéry
1928, La Vie de l'espace,
Maeterlinck
1935-1939, Derniers Beaux Jours,
Green
1938, Les Songes et les sorts, Yourcenar
(6)
1939, Donner à voir, Eluard
1940-1942, Devant la porte sombre,
Green
** 1940, L'Imaginaire, Sartre (2 rêves)
1943-1945, L'OEil de l'ouragan,
Green
1944, Les Secrets du rêve,
Béalu
1946-1950, Le Revenant, Green
1954, En miroir : journal sans
date, Jouve
1955, Le Bel Aujourd'hui, Green
1956, L'Incertitude qui vient des
rêves,
Caillots
1957-1982, Journaliers, Jouhandeau
1960, Je vous écris, Arland
** 1963, La Force des choses, Beauvoir
1967, Lettrines, Gracq
1968, La Vie en rêve,
Béalu
1969, Moi je, Roy
1975, Les Mots pour le dire,
Cardinal
1980, Biographie, Navarre
(1) On ne trouve aucun récit de rêve
dans Jean Sbogar (1818). En revanche, toute l'oeuvre de
Nodier est imprégnée de l'onirique, tout comme les
oeuvres des préromantiques, des romantiques allemands, des
romantiques français, jusqu'au Grand Meaulnes
d'Alain-Fournier, par exemple.
C'est à plus forte raison le cas de
Smarra (1821), un
récit « frénétique »
d'inspiration macabre artificiellement justifié par les
formes du « rêve » et du
« cauchemar ». Ce roman n'a évidemment
rien a voir avec le récit de rêve, ni même le
rêve, sauf au niveau du contenu thématique.
Smarra raconte sur cinquante pages une histoire
d'aventures... dont Lorenzo/Lucius finalement se réveille...
C'était un cauchemar.
Il faut également écarter du
corpus des récits
de rêve, pour les mêmes raisons, les jeux de
Tildy (1822), opposant de manière charmante (au sens
étymologique) les diverses apparitions de l'elphe. Mettre
au nombre des récits de rêve les
« rêves » où le lutin
« apparaît » à Jeannie (OEuvre
complète, p. 210-211, 238-239) sous les traits
d'un... Mac Farlane, c'est confondre le rêve et l'onirisme.
Il s'agit d'une évidente faute de lecture, le lutin n'ayant
jamais autrement existé ! Aucun
« récit de rêve » ici.
Enfin, on n'en finit jamais, il faut
écarter du corpus des
récits de rêve, un morceau de bravoure, « Un
rêve » (1830). Il s'agit d'une fantaisie
philosophique de l'ordre du rêve de d'Alambert de Diderot,
mettant ici en scène des
« anthropophages » (sans titre,
« Miscellanée », Revue de Paris,
no 21, décembre 1930, p. 141-163, rééd.
Emmanuel Dazin, éditeur, Charles Nodier, De quelques
phénomènes du sommeil, Paris, Le Castor Astral,
1996, p. 35-37).
(2) La Double méprise (1833) de
Prosper Mérimée ne contient aucun récit de
rêve. Julie de Chaverny est malheureuse, mariée
à un homme qui la traite mal et qu'elle n'aime pas. Un
homme lui fait la cour cependant, Châteaufort, pour qui elle
n'éprouve rien. Vient une soirée à la
campagne chez madame Lambert, où Julie revoit Darcy, un
homme qui lui avait vaguement plu voici quelques années, et
qui, de retour d'un séjour de six ans en Orient, lui
plaît alors extrêmement. Elle pense même
l'aimer, tandis que lui pense plutôt en profiter pour
agrémenter son hiver. Lors du retour à Paris, la
voiture de Julie a un accident et Darcy la secourt. Dans sa
voiture où il la reconduit, ils s'aiment. Après
l'amour, Darcy ne se trouve plus que poli. Julie se rend alors
compte de ce qu'a d'artificiel et de très
éphémère sa flamme pour cet homme, comprenant
que Darcy ne l'a jamais aimée. C'est alors qu'elle rentre
chez elle et se couche pour une nuit bien agitée. Au matin, affaiblie par cette nuit d'insomnie, elle annonce
qu'elle part pour Nice, prétextant qu'elle va y rejoindre sa
mère, malade. Elle meurt de pneumonie en cours de route.
Après cela, des rumeurs circulent :
« Suivant les uns, elle avait eu un rêve, ou, si
l'on veut, un pressentiment qui lui annonçait que sa
mère était malade. Elle en avait été
tellement frappée qu'elle s'était mise en route pour
Nice sur-le-champ » (Romans et Nouvelles,
éd. par Henri Martineau, Paris, Gallimard, coll.
« Bibliothèque de la Pléiade »,
1951, p. 350). A cette rumeur se réduit de rêve
et le lecteur sait qu'elle est fausse : Sylvie meurt de honte
et de chagrin. |